Faire de la symétrie avec de l'asymétrique
Les épithéliums multiciliés jouent un rôle important, notamment dans la fonction respiratoire. Des chercheurs ont mis en évidence des mécanismes permettant de contrôler la direction du battement ciliaire dans un épithélium de ce type. En utilisant un modèle invertébré, la planaire, ils ont identifié deux voies de signalisation conservées qui coopèrent d’une façon inédite pour polariser le battement ciliaire. Ces travaux, qui ont donné lieu à deux publications dans la revue Developmental Cell, permettent d’identifier des nouveaux acteurs dans la polarisation des épithéliums multiciliés, et de comprendre comment les animaux peuvent générer une symétrie bilatérale à partir de molécules ou de structures asymétriques.
Les cellules multiciliées forment jusqu’à plusieurs centaines de cils motiles qui battent de manière coordonnée pour générer un flux de liquide ou déplacer des particules et des cellules. Chez l’humain, les cellules multiciliées sont en particulier nécessaires à la clairance respiratoire, un mécanisme qui permet de renouveler la barrière protectrice de mucus qui protège les poumons contre les pathogènes et les poussières. Des perturbations de la fonction de ces cellules causées par certaines mutations génétiques peuvent ainsi être à l’origine de pathologies respiratoires sévères.
En dehors des vertébrés, les cellules multiciliées servent à la locomotion de diverses espèces animales comme les planaires, des vers plats connus pour leur extraordinaire capacités de régénération. Ces animaux servent aussi de modèles d’étude pour comprendre la fonction des épithéliums multiciliés. Pour remplir leur rôle, les cils à la surface de ces épithéliums doivent battre de façon coordonnée et dans la bonne direction. Dans le cadre d’une collaboration internationale, des chercheurs ont montré que chez la planaire, le battement ciliaire est dirigé vers la partie postérieure de l’animal mais aussi vers les côtés, et ce d’autant plus que les cils sont proches des bords. Cette organisation génère un motif symétrique de part et d’autre de la ligne médiane, qui est obtenu via l’action conjointe de deux voies de signalisation conservées chez les animaux, les voies Wnt/PCP et Fat/Dachsous.
De façon inattendue, la symétrie bilatérale observée dans l’épiderme des planaires est générée à partir de réseaux de cytosquelette qui présentent une asymétrie chirale (un objet est dit chiral s'il n'est pas superposable à son image dans un miroir), propriété qui dérive de la chiralité intrinsèque des centrioles. La voie Fat/Dachsous, qui contrôle la polarisation médio-latérale des centrioles et des cils, agit donc via un mécanisme partiellement différent dans les moitiés droite et gauche du corps pour compenser l’asymétrie du réseau de cytosquelette et former un motif symétrique.
Ce travail permet de mieux comprendre comment les animaux dits Bilatériens, dont nous faisons partie, peuvent générer un plan d’organisation symétrique à partir d’éléments constitutifs chiraux, éléments qui sont très répandus dans le vivant. Il permet par ailleurs d’identifier de nouveaux acteurs moléculaires conservés nécessaires à la polarisation des épithéliums multiciliés.
Pour en savoir plus :
Dynamic Polarization of the Multiciliated Planarian Epidermis between Body Plan Landmarks.
Vu HT, Mansour S, Kücken M, Blasse C, Basquin C, Azimzadeh J, Myers EW, Brusch L, Rink JC.
Dev Cell. 2019 Nov 18;51(4):526-542.e6. doi: 10.1016/j.devcel.2019.10.022
Emergence of a Bilaterally Symmetric Pattern from Chiral Components in the Planarian Epidermis.
Basquin C, Ershov D, Gaudin N, Vu HT, Louis B, Papon JF, Orfila AM, Mansour S, Rink JC, Azimzadeh J.
Dev Cell. 2019 Nov 18;51(4):516-525.e5. doi: 10.1016/j.devcel.2019.10.021.