DCLK3 : un gène impliqué dans l’anxiété et la mémoire

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

De nombreuses mutations de gènes sont associées à des pathologies psychiatriques, sans qu’on puisse leur attribuer un rôle précis. Dans un article publié dans Brain, des scientifiques, en utilisant le modèle « souris », révèlent le rôle de l’un de ces gènes, DCLK3, dans la modulation de l’anxiété et de la mémoire.

L’origine génétique des maladies psychiatriques reste mal comprise

Les causes des pathologies psychiatriques telles que la dépression, les troubles anxieux, les désordres compulsifs obsessionnels et la schizophrénie sont encore très mal comprises. Ces pathologies seraient liées à un terrain génétique « à risque » qui rend chaque individu plus sensible à différents facteurs environnementaux et à son histoire personnelle. Des modifications subtiles de certains gènes ont été identifiées chez les patients. Ces gènes ne sont pas directement responsables des troubles, mais agiraient plutôt comme des « facteurs de risque ».

Des souris modèles pour mieux comprendre le rôle de DCLK3

Dans une étude publiée dans la revue Brain, des scientifiques explorent comment la création de modèles génétiques chez la souris peut aider à mieux comprendre les rôles biologiques de ces gènes « à risque ». Les scientifiques se sont intéressés au gène codant la protéine DCLK3 (Doublecortin-like kinase 3), une enzyme appartenant à la grande famille des kinases. Cette kinase, très peu connue, avait été précédemment étudiée dans le cadre de la maladie de Huntington, une maladie neurodégénérative héréditaire. Pour approfondir la fonction neurobiologique de DCLK3, ils ont créé des souris génétiquement modifiées pour inactiver l’expression de ce gène à différents moments de leur développement ainsi que dans différentes régions du cerveau.

L’inactivation dès la naissance : un lien avec l’anxiété

L’étude du comportement des souris révèle que l’inactivation de DCLK3 ne produit pas d’atteintes majeures de la structure du cerveau, ni d’atteintes notables de la motricité, de la capacité à apprendre une tâche, ou encore de dérèglements du cycle veille-sommeil. Cependant, l’inactivation du gène dès la naissance est associée à un comportement anxieux chez les souris, uniquement dans des situations nouvelles et légèrement stressantes. Cette situation s’observe par exemple lorsqu’elles doivent se déplacer en hauteur dans certains tests comportementaux ou lorsqu’elles sont dans une piscine et doivent nager vers un promontoire situé à quelques dizaines de centimètres. Cependant, cette anxiété disparaît après quelques expositions répétées à ces situations. 

L’analyse des cerveaux des souris par une méthode non-invasive, la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (MRS) à très haut champs, montre que les modifications comportementales sont liées à des modifications du métabolisme cérébral qui rappellent celles observées chez les patients souffrant d’anxiété chronique.

L’inactivation à l’âge adulte dans l’hippocampe induit des troubles de la mémoire

L’inactivation soudaine de DCLK3 à l’âge adulte, spécifiquement dans l’hippocampe, induit des troubles de la mémoire. Les souris modifiées apprennent normalement à se repérer dans leur environnement, mais oublient rapidement après quelques jours sans entraînement. Cette observation est associée à des changements majeurs dans l'expression des gènes de l'hippocampe, notamment une augmentation des récepteurs du GABA et une diminution de l'expression de gènes liés à la plasticité synaptique.

En conclusion, cette étude démontre que DCLK3 joue un rôle crucial dans l'adaptation du cerveau à de nouvelles situations stressantes, ainsi que dans les processus neurobiologiques liés à la mémoire. Ces résultats renforcent l'hypothèse d'un rôle clé de DCLK3 dans certaines pathologies neurodégénératives et certains troubles psychiatriques.

© Lucie de Longprez et Emmanuel Brouillet

Figure : Caractéristiques des souris invalidées pour le gène DCLK3. Représentation simplifiée des résultats obtenus lors de l’étude des souris invalidées pour le gène DCLK3, une kinase préférentiellement exprimée dans les neurones. A. Les souris mâles, dont le gène Dclk3 a été inactivé dans l’ensemble de l’organisme depuis la naissance, bien que n’ayant pas d’anomalie neuro-anatomique, présentent des signes d’anxiété accrue lorsqu’elles sont exposées à des situations nouvelles anxiogènes. Les souris femelles n’ont pas ce phénotype « anxieux ». Les souris mâles inactivées pour DCLK3 présentent également des altérations du métabolisme cérébral et des modifications de l’expression de gènes impliqués dans le « splicing » alternatif des ARN. B. Lorsque DCLK3 a été inactivé uniquement dans l’hippocampe à l’âge adulte, la capacité des souris à retenir une information spatiale est très fortement réduite comparée aux souris témoins. Chez ces souris, on observe une diminution de l’expression de nombreux gènes « précoces » tels que Fos, Egr1, Nr4a1, et Per1, qui sont connus pour jouer un rôle majeur dans la plasticité synaptique et la mémoire. L’inactivation de DCLK3 conduit en parallèle à une augmentation de l’expression de gènes codant pour des sous-unités du récepteur GABAA et du «polycomb repressive complex» (PRC), complexe macromoleculaire qui joue un rôle important de régulateur transcriptionnel de gènes liés au système GABAergique.

En savoir plus : de Longprez L, Gaillard MC, Decraene C, et al. Loss of the neuronal kinase DCLK3 leads to anxiety-like behaviour and memory deficits. Brain. Published online February 5, 2025. doi:10.1093/brain/awaf042 

Contact

Emmanuel Brouillet
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Neuro-SU (CNRS/Inserm/Sorbonne Université)
7-9  Quai Saint-Bernard
F-75005, Paris, France