Comment le cerveau décode le temps : du récit aux réseaux neuronaux
Lorsque nous écoutons une histoire, notre cerveau active différentes régions selon une hiérarchie temporelle précise. De l’analyse des mots à l’intégration du récit, cette organisation met en évidence des mécanismes complexes. Dans une étude publiée dans Communications Biology, des scientifiques mettent à profit les avancées en neurosciences computationnelles et l’étude du connectome humain pour commencer à percer ce mystère.
Le rôle du connectome dans l’organisation cérébrale
Lorsque vous écoutez une histoire, différentes régions de votre cerveau sont activées selon une hiérarchie temporelle. Les mots, les phrases et les éléments du récit sont traités de manière progressive. Cette organisation révèle une structure complexe : les zones proches des sens analysent rapidement les données brutes, tandis que les régions associatives, comme le cortex préfrontal, intègrent ces informations sur des périodes plus longues. Cette hiérarchie de traitement temporel a été bien caractérisée chez l’humain, mais la question demeure : pourquoi cette hiérarchie temporelle est-elle ainsi structurée ?
Les récentes avancées dans la cartographie du connectome humain et la modélisation des réseaux neuronaux apportent de nouvelles réponses. Dans un article publié dans la revue Communications Biology, des scientifiques ont utilisé des modèles neuroscientifiques computationnels basés sur le connectome humain – une carte détaillée des connexions neuronales entre les régions du cerveau. Ces modèles, inspirés des réseaux neuronaux dits « réservoirs », simulent la dynamique du cerveau en utilisant des principes de connectivité basés sur le connectome humain. Ils révèlent le rôle essentiel des faisceaux de matière blanche, tels que le faisceau fronto-occipital, qui relient des régions éloignées du cerveau. Ces « raccourcis » neuronaux permettent aux zones associatives d'accéder rapidement aux informations traitées par les régions sensorielles.
Grâce à ces modèles basés sur le connectome, les scientifiques ont pu reproduire la hiérarchie de traitement temporel observée dans le cerveau humain. Leurs résultats montrent que la hiérarchie des échelles de temps découle de la structure du connectome. Autrement dit, cette organisation ne résulte pas des exigences spécifiques des tâches cognitives liées à la compréhension d’un récit, mais bien de la connectivité intrinsèque du cerveau humain.
Des similitudes avec l’intelligence artificielle
Un parallèle fascinant émerge entre ces observations et l’intelligence artificielle. Les voies de la matière blanche du cerveau ressemblent aux « connexions sautées » utilisées dans les réseaux neuronaux profonds (Deep Neural Networks ou DNN). Ces réseaux de neurones artificiels, constitués de multiples couches interconnectées, sont largement utilisés en apprentissage automatique pour traiter les données complexes. Dans les DNN, ces connexions sautées jouent un rôle crucial en stabilisant l’activité et en améliorant le flux d’informations. De la même manière, dans le cerveau des primates, les connexions neuronales à longue distance assurent une transmission efficace de l’information. Lorsque la propagation des signaux via des connexions locales devient inefficace, ces raccourcis deviennent essentiels à l’architecture du système. Cette découverte offre une nouvelle perspective sur la fonction des voies de matière blanche et ouvre la porte à des explorations innovantes sur les liens entre neurosciences et intelligence artificielle.
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Figure : Simulation de la hiérarchie narrative et de l'effet des raccourcis de la matière blanche (A) Les scientifiques ont traité les images anatomiques et de diffusion IRM de 100 sujets de l'ensemble de données HCP pour extraire la tractographie du cerveau complet. (B) Celle-ci a été utilisée pour générer le connectome du cerveau complet – une carte des connexions entre 400 régions cérébrales segmentées. (C) Cette carte a ensuite été utilisée pour créer la matrice de connectivité d'un modèle de réseau neuronal "réservoir". Nous voyons ici cette matrice schématisée, y compris la présence d'une connexion raccourcie qui relie les neurones activés par les entrées sensorielles (à gauche) aux neurones associatifs à droite. Cela correspond à une voie de la substance blanche comme le fascicule frontal inférieur occipital, illustré en (D). La suppression de cette voie dans la simulation produit un ralentissement (indiqué en rouge) dans les zones orbito-frontales dans l'image du cerveau gonflé en (E). Cela illustre l'un des rôles de ces connexions à longue distance qui peuvent avoir des actions similaires à celles des connexions de saut dans les réseaux neuronaux profonds.
En savoir plus : Simulating the impact of white matter connectivity on processing time scales using brain network models. Triebkorn, P., Jirsa, V. & Dominey, P.F. Communications Biology, 7 février 2025, DOI : https://doi.org/10.1038/s42003-025-07587-x
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Cognition, action et plasticité sensorimotrice - CAPS (Inserm/Université de Bourgogne)
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