La sélaginelle et les secrets des chloroplastes : comment les chloroplastes s’adaptent pour préserver la photosynthèse

Résultats scientifiques Biologie végétale

Les chloroplastes, indispensables à la photosynthèse, sont le produit de l’intégration d’une cyanobactérie dans une cellule eucaryote il y a 1,5 milliard d’année.  Dans un article publié dans PNAS, des scientifiques montrent la complexité des processus évolutifs qui ont permis le maintien d’une photosynthèse efficace dans une plante modèle, la sélaginelle.

Un mécanisme d’importation pour compenser la perte de gènes des chloroplastes
 

Les cellules des plantes, comme celles de tous les êtres vivants, possèdent des structures spécialisées appelées organites. Parmi ces organites, les mitochondries et les chloroplastes jouent un rôle essentiel dans la respiration et la photosynthèse. Chacun de ces deux organites contient son propre ADN, vestige de l’information génétique des bactéries ancestrales dont ils proviennent. Au fil du temps, ces organites ont perdu une grande partie de leurs gènes ou certains de ces gènes ont été transférés au génome du noyau de la cellule.

Ces organites possèdent leurs propres ribosomes, capables de produire des protéines. Pour que ces ribosomes fonctionnent et synthétisent les protéines nécessaires entre-autre à la respiration et à la photosynthèse, il est indispensable d’importer certains éléments du cytoplasme des cellules. Ainsi, dans les mitochondries des plantes, de nombreux gènes d'ARN de transfert (ARNt), acteurs clefs de la traduction du code génétique en protéines, ont disparu et des ARNt codés par le génome du noyau doivent donc être importés. En revanche, les chloroplastes, responsables de la photosynthèse, ont généralement conservé un ensemble complet de gènes d'ARNt et aucun transport d’ARN vers cet organite n’avait été mis en évidence à ce jour. Cependant, certaines plantes, comme les plantes vasculaires primitives du genre Selaginella, ont perdu une grande partie de leurs gènes d'ARNt dans leurs chloroplastes, tout en restant capables de photosynthèse. Existe-t-il un mécanisme compensatoire également chez les chloroplastes pour pallier cette perte de gènes ?

 

Selaginella, une plante modèle pour comprendre les processus évolutifs complexes chez les plantes
 

Pour répondre à cette question, des scientifiques ont analysé la population en ARNt présents dans les cellules de Selaginella kraussiana, une plante modèle idéale pour mener cette étude approfondie. L’étude a révélé que certains ARNt, produits dans le noyau de la cellule, étaient sélectivement importés dans les chloroplastes. Ce mécanisme d'importation compense la perte des gènes dans ces organites, il permet à la plante de continuer à produire des protéines essentielles à la photosynthèse et à répondre au besoin spécifique.

Les travaux, publiés dans la revue PNAS ont révélé des situations inattendues, apparues lors de l’histoire évolutive de ces plantes. Notamment, il a été mis en évidence le transfert et l’expression de gènes d’origine plastidiale dans le génome nucléaire suivi de la ré-importation des ARNt vers les chloroplastes ou encore l’importation d’un ARNt d’origine bactérienne maintenant codé par un gène nucléaire.

Ces découvertes confirment l'existence de processus moléculaires permettant aux ARNt d'être importés sélectivement non seulement dans les mitochondries, mais aussi dans les chloroplastes. Ils mettent en lumière l’importance de processus évolutifs complexes, comme le transfert de gènes, qui permettent à ces plantes de maintenir des fonctions vitales, malgré de nombreuses pertes génétiques.

© Laurence Drouard

Figure : Schéma illustrant l’histoire évolutive des ARNt chez les Sélaginelles
Au cours de l’évolution, le génome chloroplastique des plantes du genre Selaginella a été fortement modifié, avec des pertes de gènes d’ARNt, et des transferts de gènes d’ARNt dans le génome du noyau. Les ARNt chloroplastiques sont maintenant synthétisés à partir de gènes chloroplastiques, ou de gènes nucléaires de différentes origines puis importés.
Les gènes d’ARNt sont illustrés par des boîtes, en vert ceux d’origine chloroplastique, en bleu ceux d’origine nucléaire, en orange celui d’origine bactérienne. Les flèches pleines illustrent le transfert de gènes, les flèches en pointillées le transport d’ARNt (schématisés en 3D). 

En savoir plus :
Extensive import of nucleus-encoded tRNAs into chloroplasts of the photosynthetic lycophyte, Selaginella kraussiana
C. Berrissou, V. Cognat, S. Koechler, M. Bergdoll, A.-M. Duchêne*, L. Drouard*
Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), 6 novembre 2024, https://doi.org/10.1073/pnas.2412221121

Contact

Laurence Drouard
Chercheuse CNRS à l'Institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP)

Laboratoire

Institut de biologie moléculaire des plantes - IBMP (CNRS)
12, rue du Général Zimmer,
67084 Strasbourg cedex