Quand la séparation crée le lien : comment les cellules végétales se connectent alors qu’elles se divisent ?
Division et communication sont deux pré requis à la multicellularité, mais comment coordonner les deux ? Dans un article paru dans le journal Science, des scientifiques identifient les mécanismes permettant aux cellules végétales de se diviser tout en restant connectés.
Les plantes, tout comme les animaux, sont des organismes multicellulaires constitués de millions de cellules organisées en tissus et organes spécialisés. Ces cellules sont formées par division cellulaire, un mécanisme qui permet de produire deux cellules filles possédant le même génome à partir d’une cellule mère. Par la suite, elles se différencient en types cellulaires spécifiques et doivent communiquer entre elles pour coordonner leur développement et assurer le bon fonctionnement de l’organisme. La communication intercellulaire permet aux cellules d’échanger des informations et signaux moléculaires tout au long de leur vie.
Chez les plantes, cette communication est facilitée par des ponts intercellulaires de taille nanoscopique appelés plasmodesmes. Ces structures connectent les cellules entre elles et facilitent les échanges de molécules comme les protéines, ions, les hormones et les nutriments.
Cependant, un paradoxe se pose : comment les cellules filles, issues de la division cellulaire, peuvent-elles se coordonner tout en devenant individuellement autonomes ? Les plasmodesmes se formant durant la division cellulaire, comment division et connexion sont coordonnées ?
Les cellules de plante contournent la dernière étape de la division cellulaire pour rester connectées
Chez les plantes, contrairement aux cellules animales, la division cellulaire ne conduit pas à une séparation physique nette, ou « abscission » entre les cellules filles. Lors de la cytokinèse, la dernière étape de la division cellulaire, une plaque cellulaire se forme pour séparer les cellules filles. Toutefois, tout au long de sa formation, un millier d’ouvertures de taille nanoscopique, « les fenestrions » vont apparaitre dans la plaque cellulaire. Certains de ces fenestrions seront stabilisés en plasmodesmes permettant de maintenir une connexion cytosolique directe. Dans cet article, les scientifiques se sont intéressés aux mécanismes moléculaires qui conduisent les cellules de plantes à contourner l’abscission afin de former des plasmodesmes.
Le réticulum endoplasmique possède un rôle essentiel dans la formation des ponts inter-cellulaires
En combinant des approches de biologie cellulaire, d’imagerie des cellules vivantes en fluorescence, de microscopie électronique, grâce à une collaboration étroite avec la plateforme de microscopie France-Bioimaging Bordeaux Imaging Center, et de modélisation mathématique, les scientifiques ont mis en évidence le rôle central du réticulum endoplasmique (RE) dans la formation des plasmodesmes. Ils ont découvert que chez la plante modèle Arabidopsis thaliana, l’arabette des dames, la formation des plasmodesmes nécessite la présence du RE à travers les fenestrions lors de l’expansion de la plaque cellulaire. Ainsi, la présence du RE permet de stabiliser les fenestrions qui deviendront des plasmodesmes, alors que son absence conduit à leur fusion complète et disparition. Cependant, le RE est un organite très dynamique qui doit être stabilisé. Il a été mis en évidence que 3 membres de la famille des protéines Multiple C2 domains and Transmembrane domain Proteins, les MCTPs3, 4 et 6 permettent l’attachement et la constriction du RE au sein des plasmodesmes naissants, stabilisant ces derniers. En absence des MCTPs 3, 4 et 6, la formation des plasmodesmes et la communication intercellulaire sont significativement impactées.
Ce travail marque deux avancées majeures : Il aborde une question fondamentale sur la manière dont les cellules végétales "échouent" la cytokinèse pour favoriser la communication. Il met en évidence un rôle central et inattendu du réticulum endoplasmique (RE) dans l'orchestration de la continuité intercellulaire.
Légende :
La cytokinèse, la dernière étape de la division cellulaire consiste en la formation de la plaque cellulaire (magenta) qui vise à séparer physiquement les deux cellules filles. Dans les cellules de plante, au cours de la formation de la plaque cellulaire, il persiste des « trous », les fenestrions, qui peuvent contenir un tube de réticulum endoplasmique (vert) qui est stabilisé par la présence de protéines d’ancrage, les MCTPs. A la fin de la cytokinèse, les fenestrions contenant du réticulum endoplasmique seront maintenus en plasmodesmes alors que ceux ne contenant pas de réticulum endoplasmique se refermeront. La présence des plasmodesmes permet de connecter les cellules filles et empêche une coupure nette entre elles. C’est ainsi que l’on parle de cytokinèse incomplète.
Pour en savoir plus :
Plant plasmodesmata bridges form through ER-dependent incomplete cytokinesis.
Z.P. Li, H. Moreau, J.D. Petit, T. Souza-Moraes, M. Smokvarska, J. Perez-Sancho, M. Petrel, F. Decoeur, L. Brocard, C. Chambaud, M. Grison, A. Paterlini, M. Glavier, L. Hoornaert, A.S. Joshi, E. Gontier, W.A. Prinz, Y. Jaillais, A. Taly, F. Campelo, M.-C. Caillaud, E. M. Bayer
Science, 31 octobre 2024, DOI : https://doi.org/10.1126/science.adn4630
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