Décryptage de mécanismes moléculaires à l’origine du cervelet

Résultats scientifiques Développement, évolution

Au cours du développement embryonnaire, certaines cellules acquièrent des spécificités qui leur permettent de donner naissance aux différentes parties de notre corps. On les appelle des souches/progéniteurs. Dans une étude publiée dans "Development", des scientifiques, en utilisant un modèle amphibien, décrypte les mécanismes qui permettent l’émergence et l'engagement irréversible des progéniteurs de certains neurones du cervelet.

La Lèvre Rhombique Supérieure, niche germinative du cervelet.
 

Chez les vertébrés, au cours du développement embryonnaire, les cellules perdent progressivement, leur capacité à générer l’ensemble des cellules de notre corps. Elles s’engagent de façon irréversible dans différentes voies de différenciation. Au cours du développement des verrous moléculaires vont séquentiellement inhiber certains réseaux de gènes et empêchent les cellules de revenir en arrière. De cette façon des niches germinatives, qui contiennent les cellules souches d'une lignée et leurs progéniteurs, se mettent en place et sont à l'origine de la formation de nos différents organes. La compréhension de ces verrous développementaux, spécifiquement dans les cellules souches/progéniteurs est cruciale :  ils empêchent le processus de dédifférenciation et, lorsqu'ils sont défaillants favorisent l'émergence de tumeurs et leur propagation. La lèvre rhombique supérieure (URL pour Upper Rhombic Lip en anglais) est une niche germinative du cervelet. Elle a récemment fait l'objet de recherches intensives, car des défauts dans le programme de développement de l'URL humaine entraînent des maladies graves et spécifiquement des cancers. L'URL produit les neurones granulaires cérébelleux, la population neuronale prédominante du cervelet

Les facteurs T (TCF) sont une famille de protéines très conservée dans le règne animal.  L’activité cellulaire de ces facteurs est caractéristique des cellules souches neurales et participe à leur auto-renouvellement. Pour que certaines cellules souches/progéniteurs quittent leur statut de "souche", il est nécessaire que des mécanismes spécifiques se mettent en place afin que cette cellule, au lieu de s’autorenouveler, s'engage irréversiblement dans une voie de différentiation et deviennent un précurseur.

L'activité des protéines de la famille TCF est détectée dans l'URL, mais leurs fonctions et leurs modes de régulation dans cette structure n'avait encore récemment pas été décryptés.

Le modèle amphibien permet de comprendre les mécanismes moléculaires de formation des progéniteurs.
 

Dans une étude publiée dans la revue "Development", les scientifiques ont d’abord étudié le développement du cervelet dans un modèle amphibien, le xénope. L’étude révèle de fortes similarités avec le développement des mammifères et montre que ce modèle semble pertinent pour étudier les aberrations développementales de la lèvre rhombique qui sont potentiellement nuisibles chez l'homme.

En utilisant des approches fonctionnelles et transcriptomiques, c’est-à-dire en modifiant le fonctionnement de gènes cibles et en suivant les conséquences sur l’expression des autres gènes exprimés par les cellules, les scientifiques ont démontré que l'activité des protéines TCF est nécessaire à l'émergence et au maintien de la lèvre rhombique du cervelet. Ils ont également démontré qu’une protéine appelée BarH like homeobox-1 (BarHl1) contrôle la sortie des souches/progéniteurs des neurones granulaires de leur niche germinative. BarHl1 se fixe aux TCFs, les inhibe irréversiblement et transforme les progéniteurs en précurseurs. L’identification des gènes cibles de Barhl1 montre que Barhl1 inhibe aussi la transcription des gènes de la famille des hairy enhancer of split (hes/hey), qui sont connus pour maintenir des cellules souches neurales dans un état indifférencié.

Ainsi ces résultats établissent que BarHl1 agit comme verrou sur l'activité transcriptionnelle des TCF et inhibe irréversiblement le programme "souche" des neurones granulaires du cervelet. Il faut noter que ces cellules sont à l'origine des médulloblastomes, le cancer pédiatrique cérébelleux le plus fréquent et qu’il est justement connu qu'une diminution de l'expression de certains BarHl est de mauvais pronostique pour ces tumeurs.

© Béatrice DURAND

Figure: Dans le primordium cérébelleux du Xénope, la lèvre rhombique (URL, ocre pale) est une niche germinative et elle contient les cellules souches/progéniteurs des neurones granulaires (GNP). Devenu précurseurs ces cellules sortent de l'URL et migrent de façon tangentielle sur la surface du cervelet. Elles forment la couche granulaire externe (EGL, ocre), puis la plaque cérébelleuse (vert). Pendant cette migration elles arrêtent de proliférer, et se différentient irréversiblement. Ensuite elles migrent radialement à l'intérieur du tissu cérébelleux, développent des axons et forment la couche granulaire interne.

Les facteurs T (TCF) oscillent entre une forme activée (TCF-Act) et forme répresseur (TCF-Rep). Ils sont présents sous forme activés dans l'URL rostrale, ou leur activité est nécessaire à la formation et à la maintenance des GNP. La protéine BarHl1 est induite par le gène atoh1 dans l'URL. Une fois présente, la protéine BarHl1 se fixe aux TCF, les inhibent irréversiblement (TCF-Inh) et transforment les progéniteurs en précurseurs. BarHl1 inhibe aussi l'expression des gènes hes nécessaires au maintien de l'état souche/progéniteur. Une fois BarHl1 présente, l'activité des TCF s'éteint, les GNP sortent de l'URL et s'engagent irréversiblement vers la différentiation.

En savoir plus : Bou-Rouphaël J, Douzlami M, Eschstruth A, and Durand BC (2024) Cerebellar granular neuron progenitors exit their germinative niche via BarH-like1 activity mediated partly by inhibition of T-Cell factor. Development. DOI: 10.1242/dev.202234

Contact

Béatrice Durand
Chargée de recherche CNRS Hors Classe

Laboratoire

Laboratoire de biologie du développement - LBD (CNRS/Sorbonne Université)
Bureau 712
Campus Jussieu, Bâtiment C 7ème étage, boîte 24
9 Quai Saint Bernard
75005 Paris Cedex 05 France