Des moteurs moléculaires produisent l’énergie nécessaire pour nourrir les bactéries

Résultats scientifiques Microbiologie

Dans une étude publiée dans la revue Nature Communications, des scientifiques montrent, à l’échelle atomique, comment des moteurs moléculaires, tels des moulins à la surface des bactéries, convertissent l'énergie chimique en énergie mécanique pour transporter des nutriments vitaux. Les résultats révolutionnent notre compréhension des moteurs bactériens, ouvrant ainsi la voie à des applications antimicrobiennes et biotechnologiques.

Les bactéries acquièrent leurs nutriments de leur environnement et de leur hôte. L'organisation à double membrane (membrane externe et membrane interne) des bactéries dites à Gram-négatif, constitue une barrière contre l'entrée de molécules, que ce soient des nutriments nécessaires à leur survie, ou des antibiotiques. Afin de surmonter cette barrière, les bactéries ont développé des systèmes de transport spécialisés, comme le système Ton, qui assure l'importation de nutriments vitaux tels que le fer, le nickel, la vitamine B12 et certains sucres.

Des moteurs moléculaires agissant comme des moulins

Le système Ton se compose d'un transporteur spécifique situé à la surface des bactéries et d’un moteur moléculaire dans la membrane interne. Une fois que le nutriment est reconnu et fixé par le transporteur, son entrée nécessite l'ouverture d'un canal à travers ce dernier. Un processus qui puise sa source d’énergie dans des moteurs moléculaires agissant comme des moulins. Ces moulins convertissent l'énergie chimique (du gradient de proton) en énergie mécanique, permettant ainsi l'entrée du nutriment. En outre, d’autres moulins, avec la même structure et la même organisation, interviennent dans d'autres processus mécaniques à la surface des bactéries, tels que la motilité et le maintien de l'intégrité de l'enveloppe.

Malgré le rôle essentiel du système Ton pour la survie des bactéries à double membrane, ainsi que son potentiel en tant que cible antimicrobienne, des aspects cruciaux de son mécanisme demeurent mal compris, principalement en raison du manque de données structurales. Cette lacune est due non seulement à l'architecture complexe du système qui traverse l'enveloppe bactérienne, mais aussi à la dynamique des éléments et de leurs interactions.

La résonance magnétique nucléaire, un outil essentiel pour la compréhension de certains mécanismes biologiques

Récemment, la cryo-microscopie électronique a permis de déterminer partiellement la structure de plusieurs moteurs moléculaires Ton. Cependant certaines parties de ces structures demeurent inconnues, notamment le domaine central, essentiel pour distribuer l’énergie jusqu'au transporteur de nutriment à la surface des bactéries par un mécanisme jusqu'à alors non élucidé.  

Dans cette étude parue dans le journal Nature Communications, les scientifiques ont déterminé la structure atomique de ce domaine par la technique de la résonance magnétique nucléaire (RMN). Ils découvrent ainsi l'existence de ce domaine en deux états, fermé ou ouvert, sur une échelle de temps allant de la microseconde à la milliseconde. La RMN est une technique de spectroscopique de pointe basée sur des propriétés magnétiques des noyaux des atomes qui subissent un très fort champ magnétique (ici plus de 400 000 fois le champ terrestre). Son apport réside dans sa capacité unique à fournir des informations structurales et dynamiques à l'échelle atomique dans les conditions physiologiques. Sa combinaison avec d'autres technologies dédiées à la biologie structurale telles que la cryo-microscopie électronique et la cristallographie aux rayons X, est indispensable à la compréhension des machineries dynamiques et complexes telles que le système Ton.

Un mécanisme qui semble être universel pour la conception de nouvelles stratégies antibiotiques

Avec cette nouvelle technologie, les scientifiques ont montré que seul l'état ouvert est actif, et capable d'interagir avec d'autres composants du système, impliqués dans l’internalisation du nutriment. D’autres expériences ont révélé que la transition entre les deux états sont indispensables pour l'importation des nutriments et la survie des bactéries. De plus, l'étude montre pour la première fois le rôle catalytique du maillage rigide de la paroi bactérienne qui rend le transfert d’énergie efficace.

Le mécanisme découvert dans cette étude semble être universel, comme en témoigne sa démonstration dans deux systèmes Ton distincts : l'un dédié à un transporteur spécifique de source de fer, l'autre généraliste et capable d'interagir avec divers transporteurs de nutriments. De plus, les régions des protéines qui interviennent dans la transition entre les deux états, sont hautement conservées chez les bactéries, suggérant un mécanisme général des moulins moléculaires bactériens. L'ensemble des résultats présentés dans cette étude offre une nouvelle compréhension des mécanismes énergétiques des moulins moléculaires et du transfert d'énergie vers la surface des bactéries. Ces découvertes fournissent une base solide pour la conception de nouvelles stratégies antibiotiques.

Pour en savoir plus :
Zinke, M., Lejeune, M., Mechaly, A. et al. Ton motor conformational switch and peptidoglycan role in bacterial nutrient uptake. Nat Commun 15, 331 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-023-44606-z

Animation 3D montrant le transfert d’énergie induit par le moteur moléculaire et permettant l’entrée des nutriments

Sur cette animation montrant l'enveloppe d'une bactérie, nous pouvons observer les nutriments (dorés/ marrons) à l’extérieur de la membrane bactérienne, et le récepteur membranaire (vert) servant de porte d’entrée dans la membrane. La protéine clé (rose), faisant partie du moteur ou moulin moléculaire, permet de donner l’énergie pour faire rentrer ces nutriments. La protéine turquoise est le relais entre le moteur moléculaire et le récepteur. La mèche rigide (blanche) de la paroi cellulaire, entre les deux membranes, joue également un rôle essentiel de catalyseur. 

© Maximilian Zinke

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Contact

Nadia Izadi-Pruneyre
Directrice de recherche CNRS

Laboratoire

Biologie moléculaire structurale et processus infectieux (CNRS/Institut Pasteur)
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