L’acide phytique : une petite molécule qui aide à réparer les cassures de l’ADN

Résultats scientifiques Physiologie et cancer

L’IP6, inositol-hexaphosphate ou acide phytique, est un produit du métabolisme cellulaire qui se lie à de nombreuses protéines dont il régule les fonctions. Dans un article publié dans la revue Nucleic Acids Research, les scientifiques démontrent comment l’acide phytique stabilise l’assemblage d’un complexe permettant la réparation des cassures de l’ADN chez l’Homme.

De nombreuses thérapies anticancéreuses induisent des cassures double-brin de l’ADN. Une cassure double-brin de l’ADN représente le type de dégradation de l’ADN la plus grave pour une cellule, car cela revient à couper en deux un chromosome. Les fragments de chromosome ainsi libérés peuvent être perdus ou donner lieu à des translocations s’ils ne sont pas rapidement resoudés l’un à l’autre. Une cassure non réparée conduit le plus souvent à la mort cellulaire, propriété qui est exploitée pour éradiquer les cellules tumorales lors des radiothérapies ou de certaines chimiothérapies.

Mais des voies de réparation des cassures double-brin existent et leur performance dans les tumeurs détermine l’efficacité de ces thérapies. Le système dominant de réparation des cassures double-brin dans les cellules humaines est la Jonction d’Extrémités Non-Homologues ou NHEJ, initiée par la protéine Ku qui encercle très rapidement les extrémités de la cassure et sert d’amarre pour les autres protéines nécessaires à ressouder entre elles ces extrémités. Par deux techniques d’étude des protéines à l’échelle atomique (cristallographie et cryo-microscopie électronique), les scientifiques ont découvert comment une petite molécule produite par le corps et parfois utilisée comme complément alimentaire, l’inositol-hexaphosphate (IP6) ou acide phytique, se lie sur la protéine Ku.

La protéine Ku, une cible intéressante pour tuer les cellules tumorales
 

Les scientifiques ont ensuite analysé l’effet de l’IP6 sur la réparation des cassures dans des cellules humaines. Ils ont ainsi modifié la protéine Ku pour altérer ses propriétés, mesurer l’impact sur la liaison de l’acide phytique et ainsi comprendre comment ce dernier agit. Les mutants de la protéine Ku ont permis de révéler que la présence de l’acide phytique sur la protéine Ku stimule l’accrochage sur cette dernière de la protéine XLF, étape essentielle pour souder efficacement la cassure de l’ADN (voir le modèle ci-dessous). L’acide phytique joue ainsi un rôle primordial de stabilisation du large complexe des protéines de NHEJ nécessaire à la réparation des cassures de l’ADN. Ce travail fondamental résout la question soulevée il y a deux décennies du rôle de l’acide phytique dans la réparation des cassures double-brin de l’ADN. Il ouvre également des perspectives thérapeutiques en identifiant une nouvelle zone sur la protéine Ku qui pourrait être ciblée par des petites molécules afin de bloquer la réparation des cassures dans les cellules tumorales.

figure
© Philippe Frit, IPBS
Légende : Lorsqu’une cassure des deux brins de l’ADN est induite, par exemple au cours d’une séance de radiothérapie, elle est immédiatement reconnue par la protéine Ku qui sert de site d’ancrage pour les autres protéines responsables de la soudure des extrémités : l’ADN ligase 4 (Lig4), XRCC4 et XLF. La stabilité de ce large complexe de protéines dépend de la liaison d’une petite molécule, l’IP6, sur Ku. Lorsque l’IP6 est absent (à droite sur le modèle), XLF se lie moins bien à Ku, l’assemblage est instable et la réparation des cassures est moins efficace.

En savoir plus :
Structural and functional basis of inositol hexaphosphate stimulation of NHEJ through stabilization of Ku-XLF interaction. Antonia Kefala Stavridi§, Amandine Gontier§, Vincent Morin§, Philippe Frit §,Virginie Ropars, Nadia Barboule, Carine Racca, Sagun Jonchhe, Michael J. Morten, Jessica Andreani, Alexey Rak, Pierre Legrand, Alexa Bourand-Plantefol, Steven W. Hardwick, Dimitri Y. Chirgadze, Paul Davey, Taiana Maia De Oliveira, Eli Rothenberg, Sébastien Britton*, Patrick Calsou*, Tom L. Blundell*, Paloma F. Varela*, Amanda K. Chaplin* and J.B Charbonnier*. https://doi.org/10.1093/nar/gkad863

Contact

Sébastien Britton
Chercheur CNRS

Laboratoire

Institut de pharmacologie et biologie structurale - IPBS (CNRS/Université Paul Sabatier)
205 route de Narbonne
31077 Toulouse