Séparation de phase au cœur du noyau des cellules
L’organisation de l'hétérochromatine, la partie du génome comprenant les gènes réprimés, en compartiments 3D est essentielle pour le bon fonctionnement des cellules. Mais les mécanismes qui régissent cette organisation sont mal caractérisés. Dans une étude publiée dans la revue PNAS, les scientifiques ont combiné des approches théoriques avec des mesures sur embryons de drosophile et montré que les propriétés structurales et dynamiques de ces compartiments sont cohérentes avec un mode d'organisation basé sur la séparation de phase liquide-liquide couplé à la mécanique intrinsèque des chromosomes.
L’organisation spatiale du génome dans le noyau des cellules n’est pas aléatoire et cette organisation a des conséquences profondes sur la régulation des gènes et le bon fonctionnement des cellules. La stabilité du génome est en particulier liée à l'organisation tridimensionnelle (3D) en condensats, enrichis en protéines HP1, de l'hétérochromatine dite constitutive (HC) qui représente un ensemble de régions d'ADN réprimées dans la plupart des cellules. Des travaux in vitro ont suggéré que le phénomène de séparation de phase liquide-liquide – physiquement similaire à la formation de « gouttes » lorsqu’on mélange de l’huile et du vinaigre – pourrait être impliqué dans la formation de ces condensats. Mais les mécanismes in vivo restent largement méconnus.
Dans cette étude, les scientifiques ont développé une stratégie interdisciplinaire basée sur de la modélisation physique et des expériences de biologie pour caractériser les mécanismes de séparation de phase in vivo de l’hétérochromatine.
A l’aide de simulations numériques, ils ont montré théoriquement que l’existence d’interactions moléculaires entre protéines HP1 combinée à leur affinité spécifique pour les domaines HC est un facteur clé contrôlant la formation de condensats d’hétérochromatine in vivo. Ces interactions permettent une stabilisation de « gouttes » de protéines HP1 autour des régions HC à des concentrations en HP1 très faibles pour lesquelles ces condensats ne devraient pas être observées en conditions in vitro. Celles-ci jouent également sur la cinétique de (re)formation de ces condensats après la division cellulaire où ils se dissolvent. Par exemple, chez l’homme où l’HC est présente sous forme de blocs dispersés le long du génome, la constitution de large condensats 3D comprenant plusieurs régions HC distinctes se fait par la coalescence successive de petites gouttes nucléées autour de chacune de ces régions. Ce processus est ralenti car il est contraint par la mobilité très lente des chromosomes, en accord avec des expériences réalisées précédemment par d’autres groupes.
Pour appuyer ces résultats théoriques, les scientifiques ont étudié la formation de condensats chez la drosophile – dite « mouche du vinaigre ». Ils se sont intéressés à un stade de développement où les régions autour des centromères des chromosomes acquièrent progressivement un caractère d’hétérochromatine constitutive. Dans ce cas, le modèle prédit la nucléation de petites gouttes sphériques autour des premières régions qui deviennent HC, puis leur coalescence lente via la formation de « ponts » liés à l’établissement de nouvelles régions d’HC entre elles. Ces résultats sont en très bon accord avec les expériences de microscopie en temps réel sur des embryons de mouche précoces réalisées dans cette étude.
En conclusion, ces résultats suggèrent un modèle générique de formation de condensats d’HC basé sur le couplage entre la séparation de phase des HP1 et la mécanique des chromosomes.
En savoir plus :
Maxime M.C. Tortora, Lucy D. Brennan, Gary Karpen, Daniel Jost. HP1-driven phase separation recapitulates the thermodynamics and kinetics of heterochromatin condensate formation. Proceedings of the National Academy of Science USA, 120 (33) e2211855120 (2023).
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