Les virus suppriment l’immunité de la plante infestée à l’aide de leurs protéines de mouvement

Résultats scientifiques Biologie végétale

Chez les plantes, les virus se répliquent et se propagent à travers les plasmodesmes, sorte de ponts qui permettent les échanges entre cellules adjacentes. Dans un article publié dans la revue Plant Cell des scientifiques ont étudié le mécanisme de défense des végétaux face aux attaques des virus à ARN et la manière dont ces derniers contournent l’immunité de la plante infestée à l’aide de leurs protéines de mouvement. Des résultats aux implications importantes pour l'agriculture.

Les virus sont à l'origine de nombreuses maladies chez les plantes cultivées. Par exemple, le virus du fruit rugueux brun de la tomate  (ToBRFV) est un virus émergent de genre Tobamovirus qui depuis 2019 affecte les cultures de tomates et de poivrons dans tous les continents. Pour provoquer une infection systémique et se multiplier dans la plante infectée, les virus doivent répliquer leurs génomes et les propager d'une cellule à l'autre à travers les plasmodesmes, sortes de pores dans les parois cellulaires de la plante par lesquels les cellules adjacentes communiquent. Cette réplication implique la production d'ARN double brin qui active les réactions de défense de la plante et que le virus doit surmonter pour provoquer l'infection. Une des principales réponses de défense de l'hôte est l’ARN interférence qui cible l'ARN viral en vue de le dégrader afin de réduire la capacité du virus à se répliquer.

Auparavant, les mêmes scientifiques avaient découvert que l'ARN double brin activait également la défense antivirale par le biais d'un mécanisme différent, connu sous le nom de "pattern-triggered immunity" (PTI). Contrairement à l’ARN interférence, le mécanisme de défense PTI est activé par des récepteurs reconnaissant des motifs moléculaires associés à des microbes ou à des pathogènes, provoquant le déclanchement du signal de défense. Cette nouvelle étude vient décrypter ce mécanisme de signalisation et de défense antivirale ainsi que la manière dont les virus surmontent la réponse immunitaire de l'hôte.

Dans cette étude, les scientifiques ont traité des plants de tabac infectés par le virus de la mosaïque du tabac (TMV), une espèce de virus du genre Tobamovirus come le ToBRFV, avec un analogue synthétique de l’ARN double brin, qui permet d’activer le mécanisme de défense PTI mais pas celui de l’ARN interférence. Permettant ainsi d’isoler la réponse immunitaire désirée, ce traitement a fortement réduit l'efficacité avec laquelle le virus s’est propagé de cellule en cellule, suggérant ainsi un rôle important du mécanisme de défense PTI dans le contrôle du mouvement du virus à travers les plasmodesmes. Conformément à cette observation, le traitement a entraîné une forte augmentation du dépôt de callose au plasmodesmes restreignant ainsi la taille des molécules pouvant passer entre les cellules. En utilisant ensuite des approches génétiques, les scientifiques ont identifié plusieurs composants de la voie de signalisation associé avec le mécanisme de défense PTI et essentiels pour la défense antivirale. En outre, les scientifiques ont noté que cette dernière signalisation est indépendante de la production de peroxyde d'hydrogène (ROS) et donc distincte des voies de signalisation PTI classiques déclenchées par des pathogènes bactériens et fongiques.

Face au mécanisme de défense PTI, le TMV et autres espèces de Tobamovirus sont montrées d’inhiber, par les protéines de mouvement virale (MP), la réaction de dépôt de callose. Comparable à une technique de pied dans la porte, le virus tente ainsi de ralentir la fermeture des plasmodesmes pour continuer de se propager dans la plante. Cette inhibition est fonctionnellement liée à la capacité de ces protéines à faciliter le mouvement des virus. L'ensemble de ces résultats indique que l’infection par des virus dépend de leur capacité et de celle de leurs protéines de mouvement virale à supprimer le mécanisme de défense PTI et donc à empêcher la fermeture des plasmodesmes déclenchée par la réplication virale.

Pour les scientifiques la prochaine étape serait d'identifier le récepteur permettant la reconnaissance spécifique de l ARN double brin, de caractériser le mécanisme par lequel les protéines de mouvement virale surmontent le mécanisme de défense PTI, et de comprendre comment les plantes coordonnent les différentes défenses antivirales induite par l'ARN double brin (PTI et ARNi) au cours de la propagation de l'infection virale.

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© Manfred Heinlein
Figure : La reconnaissance du poly(I:C) exogène ou de l'ARNdb produit dans un complexe de réplication virale (VRC) par un PRR (‘pathogen recognition receptor’, encore inconnu) et par SERK1 ou d'autres corécepteurs de la famille SERK déclenche une voie de signalisation impliquant BIK1/PBL1 et les protéines CML41 et PDLP localisées dans les plasmodesmes (PD) et conduisant au dépôt de callose dans le PD, ce qui entraîne la fermeture des PD. Les MPs virales bloquent cette voie, permettant ainsi au complexe ribonucléoprotéique viral infectieux composé d'ARN viral, de MP et d'autres facteurs de se déplacer à travers le PD, propageant ainsi l'infection dans les cellules adjacentes.  

En savoir plus : 
Caiping Huang, Ana Rocio Sede, Laura Elvira-González, Yan Yan, Miguel Rodriguez, Jerome Mutterer, Emmanuel Boutant, Libo Shan, and Manfred Heinlein (2023) dsRNA-induced immunity targets plasmodesmata and is suppressed by viral movement proteins. The Plant Cell, koad176, https://doi.org/10.1093/plcell/koad176

Contact

Manfred Heinlein
Directeur de recherche

Laboratoire

Institut de biologie moléculaire des plantes - IBMP (CNRS/Université de Strasbourg) 
12 rue du général Zimmer
67084 Strasbourg