Cinq lauréats INSB du prix « Les grandes avancées françaises en biologie »
Le 20 juin 2023, « Les grandes avancées françaises en biologie » (prix dotés par la Fondation Mergier Bourdeix) de l’Académie des sciences a récompensé cinq jeunes chercheuses et chercheurs, auteurs d’avancées scientifiques majeures en biologie en 2022 ou 2023 dont cinq biologistes rattachés à l'Institut des sciences biologiques (INSB).
Découvrez une courte présentation des travaux ci-dessous des cinq jeunes chercheuses et chercheurs lauréats du prix "Les Grandes Avancées Françaises en Biologie".
Source : Académie des sciences
Élise Parey
À l’origine des poissons : résolution d’une énigme de l’arbre du vivant
Plus de 96% des poissons actuels sont regroupés au sein de la classe des poissons dits téléostéens. On recense près de 30000 espèces dans ce groupe, qui comprend des organismes modèles précieux à la recherche biomédicale, sur l'évolution, ou en écologie. Depuis plus de 50 ans, les relations évolutives entre les 3 groupes majeurs de poissons téléostéens ont fait l’objet de nombreux débats. Dans ce travail, nous tirons avantage de génome de référence de haute qualité pour résoudre cette énigme. Nous démontrons que les anguilles sont plus proches des poissons à langue osseuse qu'ils ne le sont du reste des poissons téléostéens. L'impact de ce résultat est double. La résolution de la phylogénie à l'origine des poissons permettra des investigations plus exactes des dynamiques génomiques et évolutives de ce groupe remarquablement divers. Il met également en lumière la puissance d'approches de génome complet pour retracer l’évolution des espèces et laisse entrevoir la possibilité de réexaminer d'autres zones controversées de l'arbre du vivant
Institut de Biologie de l'École Normale Supérieure (IBENS) – Université PSL – Institut Pasteur – Paris & INRAE – LPGP – Rennes
PAREY E, LOUIS A, MONTFORT J, BOUCHEZ O, ROQUES C, IAMPIETRO C, LLUCH J, CASTINEL, A, DONNADIEU C, DESVIGNES T, [...], BERTHELOT C*, ROEST CROLLIUS H.*, GUIGUEN Y*. Genome structures resolve the early diversification of teleost fishes. (2023). Science 379, 572–575. 10.1126/science.abq4257. * Co-corresponding author
Arthur Boutillon
Un troupeau sans berger : un nouveau mode de guidage de la migration cellulaire collective
Les migrations cellulaires sont essentielles à de nombreuses fonctions physiologiques comme l’immunité ou le développement embryonnaire, mais sont aussi impliquées en situations pathologiques, comme lors de la cicatrisation ou de la formation de métastases. Beaucoup de migrations sont collectives, les cellules communiquant entre elles pour coordonner et orienter leur mouvement. Comprendre ces mécanismes de coordination et de guidage pourrait permettre de contrôler les migrations, pour faciliter la réparation de tissus ou limiter la formation de métastases. Les cellules au front du groupe sont considérées comme des cellules leaders, celles derrière comme des suiveuses. Dans beaucoup de migrations collectives, il a été proposé que ce sont les cellules leaders qui guident la migration de l’ensemble, percevant des signaux de guidage externe et entrainant avec elles les suiveuses. Depuis quelques années cependant, différents résultats suggéraient que les suiveuses puissent jouer un rôle plus actif. En analysant la migration d’un groupe de cellules lors du développement embryonnaire d’un poisson modèle, nous avons identifié un mode de migration collectif original : au lieu d’être guidée par les cellules leaders, ce sont les cellules suiveuses qui orientent la migration. Plus précisément, chaque cellule dans le groupe, en migrant, tire sur la cellule devant elle. Cette traction oriente la cellule de devant, qui, à son tour, orientera celle devant elle. L’information de direction se propage ainsi dans le groupe, assurant la coordination de l’ensemble. Ce phénomène, que nous avons nommé « Guidage par les suiveuses », pourrait expliquer comment des cellules pathologiques arrivent à migrer a priori sans source d’attraction.
Laboratoire d’optique et biosciences – École Polytechnique - Institut Polytechnique de Paris (IPP) – Palaiseau
BOUTILLON A, ESCOT S, ELOUIN A, JAHN D, GONZÁLEZ-TIRADO S, STARRUß J, BRUSCH L and DAVID N B. Guidance by followers ensures long-range coordination of cell migration through alpha-catenin mechanoperception. (2022) Dev. Cell, 57, 1529-1544.e5
Juliette Mathieu
Les divisions incomplètes maintiennent le lien entre les cellules germinales sœur
La grande majorité des cellules animales se divisent de façon complète pour donner naissance à deux cellules filles physiquement séparées. A l’inverse, les cellules de la lignée germinale de nombreux organismes se divisent de façon incomplète pour produire des groupes de cellules sœurs, appelés cystes germinaux, reliées par des ponts, et qui partagent le même cytoplasme. Cette propriété est essentielle pour permettre aux gamètes mâles de profiter des produits de gènes portés par les chromosomes X et Y alors que chaque gamète n’hérite que de l’un de ces deux chromosomes. Notre étude a permis de montrer que la protéine Usp8, conservée de la levure à l’homme, joue un rôle majeur sur l’issue des divisions cellulaires. Usp8 est nécessaire pour que les divisions soient incomplètes dans les cystes germinaux, et elle est suffisante pour bloquer les divisions de cellules souches germinales, qui sont normalement complètes. Dans les cystes germinaux, Usp8 agit en enlevant des peptides d’ubiquitine liés aux protéines ESCRT, ce qui a pour conséquence d’empêcher leur recrutement au pont cytoplasmique qui relie les cellules filles. Les protéines ESCRT étant nécessaires à la coupure du pont de cytoplasme, leur absence dans les cystes germinaux empêche ainsi les divisions complètes. Dans les types cellulaires qui se divisent de façon complète, les protéines ESCRT liées à l’ubiquitine s’accumulent progressivement au site de coupure, ce qui promeut la scission entre les cellules filles. Cette étude permet une meilleure compréhension de la formation des gamètes, qui est une étape clé de la reproduction sexuée. Au-delà des cellules germinales, on retrouve aussi des divisions incomplètes chez des organismes unicellulaires comme les choanoflagellés, qui par division incomplète peuvent former des colonies de plusieurs cellules, et ainsi permettre l’émergence de la multicellularité dans l’histoire du Vivant.
Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB), Collège de France, équipe Evolution et développement des cellules germinales - Paris
MATHIEU J, MICHEL HISSIER P, BOUCHERIT V and HUYNH JR. The deubiquitinase USP8 targets ESCRT-III to promote incomplete cell division. (2022). Science 376, 818-823
Stéphanie Jacquet
Dupliquer leurs gènes, l'un des secrets des chauves-souris pour faire face aux virus
Plusieurs espèces de chauves-souris sont des réservoirs asymptomatiques de virus mortels chez d'autres mammifères. Une hypothèse communément admise suggère que leur réponse immunitaire repose sur un équilibre entre résistance et tolérance immunitaire, mais les connaissances sur ces adaptations restent encore parcellaires. En combinant des approches de terrain, des analyses évolutives et des expérimentations cellulaires, nous avons étudié l’évolution de la protéine kinase R (PKR) – une protéine de l’immunité qui a pour rôle de bloquer la réplication d’une grande diversité de virus. Nos résultats révèlent l’existence de plusieurs copies de PKR dans le génome d’un groupe d’espèces de chauves-souris, alors que tous les autres mammifères étudiés n’en ont qu’une seule copie. Ils suggèrent que cette multiplication de PKR permettrait aux espèces d’augmenter leur réponse antivirale et de diversifier leurs possibilités d’empêcher les contournements de l’immunité par les virus. Enfin ils montrent que ces adaptations, qui ont évolué sur plusieurs millions d’années, influencent la susceptibilité des espèces de chauves-souris aux virus circulant aujourd’hui dans leurs populations.
Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE) et Centre International de Recherche en Infectiologie (CIRI) – Université Claude Bernard Lyon - Villeurbanne
JACQUET S, CULBERTSON M, ZHANG C, EL FILALI A, DE LA MYRE MORY C, PONS JB, FILIPPI-CODACCIONI O, LAUTERBUR ME, NGOUBANGOYE B, DUHAYER J, VEREZ C, PARK C, DAHOUI C, CAREY CM, BRENNAN G, ENARD D, CIMARELLI A, ROTHENBURG S, ELDE NC, PONTIER D*, ETIENNE L*. Adaptive duplication and genetic diversification of protein kinase R contribute to the specificity of bat-virus interactions. (2022) Science Adv. Nov 25;8(47):eadd7540. doi: 10.1126/sciadv.add7540. *Co-directrices
Laia Richart-Ginès
L'inactivation du chromosome X est un processus épigénétique qui assure la compensation de dosage de gènes entre les femelles (XX) et les mâles (XY) par l'inhibition transcriptionnelle de l'un des deux chromosomes X dans les cellules féminines. L'inactivation de l'X commence très tôt dans le développement avec la surexpression par l'un des deux chromosomes X de l'ARN long non codant XIST, qui "recouvre" le chromosome et déclenche une cascade d'événements qui aboutissent à la formation d'un domaine chromatinien compacté. Le X inactif est propagé à travers les divisions cellulaires et maintenu à l'âge adulte. Le rôle de XIST au-delà de l'initiation de l'inactivation de l'X commence seulement à être élucidé. La déplétion de XIST dans les cellules souches mammaires humaines entrave leur différenciation et favorise l'émergence de tumeurs mammaires agressives lorsqu'elles sont injectées à des souris immunodéficientes. Mécaniquement, la perte de XIST déstabilise le silencing d'un sous-ensemble de gènes sur le X inactif qui sont essentiels à l'identité des cellules souches mammaires. L'instabilité transcriptionnelle de ces gènes est également fréquente dans les tumeurs mammaires humaines de mauvais pronostic. Nos travaux révèlent un rôle sans précédent de XIST dans le contrôle de l'identité des cellules souches somatiques, avec des conséquences potentielles pour notre compréhension des tumeurs malignes sexospécifiques.
Institut Curie - Equipe Mécanismes de répression par les protéines Polycomb, Unité génétique et biologie du développement - Paris
RICHART L, PICOD-CHEDOTEL ML, WASSEF M, MACARIO M, AFLAKI S, SALVADOR MA, HÉRY T, DAUPHIN A, WICINSKI J, CHEVRIER V, PASTOR S, GUITTARD G, LE CAM S, KAMHAWI H, CASTELLANO R, GUASCH G, CHARAFE-JAUFFRET E, HEARD E, MARGUERON R, GINESTIER C. XIST loss impairs mammary stem cell differentiation and increases tumorigenicity through Mediator hyperactivation. (2022) Cell 185(12), 2164-2183.e25