Reconstruction d’un programme génétique d’une symbiose vieille de 90 millions d’années

Résultats scientifiques Biologie végétale

Une symbiose avec des microorganismes permet à certaines plantes de directement puiser l’azote dont elles ont besoin dans l’air. Cette symbiose serait apparue il y a 90 millions d’années. Dans un article publié dans la revue Nature Plants, des scientifiques lèvent le voile sur cette symbiose ancestrale.  

Contrairement aux animaux, les plantes obtiennent le carbone nécessaire à leur croissance directement dans l’air, via la photosynthèse. Alors que l’immense majorité des plantes puisent les autres nutriments dans le sol, quelques rares espèces, comme le haricot ou la luzerne, sont capables d’obtenir l’azote de l’air qui les entoure. Cette fixation de l’azote atmosphérique est possible grâce à une symbiose avec certaines bactéries du sol, symbiose apparue il y a plus de 90 millions d’années. Cette association, qui repose sur des échanges de signaux et de nutriments régulés de manière extrêmement précise, s’est ensuite diversifiée au cours de l’évolution, aboutissant à une variété d’interactions chez les plantes actuelles. Se pose alors la question des éléments génétiques minimaux permettant à une plante de former cette symbiose ? Découvrir à quoi ressemblait le programme génétique de cette symbiose à ses origines serait une façon de répondre à cette question.

Si chaque cellule d’un organisme possède une copie identique du génome, l’activité de ce génome, son expression, diffère d’une cellule à l’autre en fonction du développement ou de l’environnement auquel est confronté cet organisme.

Dans cette nouvelle étude, les scientifiques ont comparé des mesures de l’expression du génome de neuf espèces de plantes en présence ou en absence de bactéries symbiotiques fixatrices d’azote. En cherchant les points communs entre ces neuf jeux de données, ils ont pu déduire les zones du génome activées dans leur ancêtre commun, qui devait vivre sur Terre il y a plus de 90 millions d’années. Ainsi, plus d’un millier de gènes devaient être exprimés lors de cette symbiose ancestrale, permettant aux plantes de percevoir les signaux chimiques produits par leurs bactéries symbiotiques, puis d’accueillir ces dernières dans leurs tissus.

Comme toute compétence biologique, la symbiose fixatrice d’azote a continué à évoluer depuis son origine. Certains groupes de plantes ont perdu cette compétence, alors que d’autres semblent l’avoir conservée de manière plus stable. Cette stabilité évolutive accrue est notamment retrouvée chez certaines espèces de légumineuses comme le Mimosa ou la Luzerne. En comparant les gènes exprimés spécifiquement lors de la symbiose chez ces espèces, les scientifiques ont découvert, chez le Mimosa, la capacité à produire des petites molécules, des peptides, aux propriétés probablement antimicrobiennes. Ces peptides appartiennent à une famille différente de ceux préalablement découverts chez la Luzerne, ce qui suggère qu’ils ont évolué de manière indépendante dans ces deux groupes de légumineuses. En régulant le développement de leur symbiote, ces espèces contrôlent la symbiose, entrainant une meilleure efficacité symbiotique et probablement une stabilisation de ces interactions plantes-bactéries.

Finalement, cette reconstruction permet aussi de proposer les bases pour des approches de biologie synthétique : générer une nouvelle symbiose fixatrice d’azote chez les plantes d’intérêt agronomique comme le blé ou le maïs revient maintenant à mimer cette symbiose ancestrale. Une telle symbiose synthétique permettrait de limiter l’utilisation d’engrais et leurs effets collatéraux tout en maintenant une production efficace.

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© Pierre-Marc Delaux

Figure : Représentation de l’évolution de la symbiose fixatrice d’azote.

Pour en savoir plus : 
Comparative phylotranscriptomics reveals ancestral and derived root nodule symbiosis programmes.
Cyril Libourel, Jean Keller, Lukas Brichet, Anne-Claire Cazalé, Sébastien Carrère, Tatiana Vernié, Jean-Malo Couzigou, Caroline Callot, Isabelle Dufau, Stéphane Cauet, William Marande, Tabatha Bulach, Amandine Suin, Catherine Masson-Boivin, Philippe Remigi, Pierre-Marc Delaux & Delphine Capela.
Nature Plants, 15 june 2023. DOI:https://doi.org/10.1038/s41477-023-01441-w

Contact

Pierre-Marc Delaux
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Laboratoire de recherche en sciences végétales (CNRS / Université Toulouse III Paul Sabatier / Institut national polytechnique de Toulouse)
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31326 Castanet-Tolosan