Une voie neuronale pour la dépression : de l’amygdale au cortex cingulaire

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Dépression et douleur chronique présentent une forte comorbidité pouvant s’expliquer par la similarité des réseaux cérébraux recrutés dans ces deux pathologies. Dans un article publié dans la revue Nature Communications, les scientifiques montrent qu’une augmentation de l’activité d’un circuit neuronal reliant l’amygdale basolatérale au cortex cingulaire antérieur, est à la base du développement d’un état de type dépressif chez la souris. Les modifications moléculaires observées chez les souris présentent de fortes similitudes avec celles décrites dans le cerveau humain chez des patients dépressifs.

La douleur chronique est fréquemment associée à des troubles anxieux et dépressifs. Des études d’imagerie réalisées chez l’homme mettent en évidence un certain nombre de similitudes dans les structures cérébrales impliquées dans la douleur chronique et les troubles de l’humeur. En particulier, les patients souffrant de ces pathologies présentent une activation anormale d’une région antérieure du cerveau, le cortex cingulaire antérieur (CCA). Lors de travaux précédents, les scientifiques avaient montré que la lésion ou l’inhibition de l’activité de cette même structure chez la souris permettaient de neutraliser les conséquences émotionnelles négatives faisant suite à une douleur chronique. A l’inverse, de façon complémentaire, l’activation soutenue du CCA chez des souris naïves, non douloureuses, suffisait à produire des effets de type anxieux et dépressifs.

Dans la présente étude, les scientifiques se sont intéressés aux mécanismes menant à cette activation excessive du CCA. Dans un premier temps, ils ont montré que les neurones situés dans l’amygdale basolatérale (BLA) et projetant au CCA étaient hyperactifs dans un modèle de dépression induite par une douleur chronique. De plus, l’inhibition de la connexion entre ces deux structures, appelée voie BLA-CCA, permet de supprimer les comportements de types dépressifs induits par la douleur chronique chez la souris. De façon intéressante, alors qu’une inhibition de la totalité du CCA permet de réduire les comportements de type dépressifs et anxieux, l’inhibition de la voie BLA-CCA n’a aucun effet sur l’anxiété. Ceci suggère que la régulation émotionnelle par le CCA se fait via le recrutement de différentes voies cérébrales.

Par la suite, les scientifiques ont démontré que l’hyperactivité de la voie BLA-CCA était suffisante pour induire le développement de comportements apparentés à la dépression. Pour se faire, ils ont mis en place un protocole permettant l’activation répétée de la voie BLA-CCA sur une période de 3 semaines. Les animaux ainsi stimulés développent des comportements de type dépressif de façon progressive, avec un effet maximum après 3 semaines de stimulations. Ces effets sont associés à des changements d’expression de gènes dans le CCA ressemblant fortement aux modifications transcriptomiques observées chez des patients dépressifs dans la même structure cérébrale, lors d’une étude post-mortem. Parmi les modifications les plus importantes, une diminution drastique de l’expression de gènes impliqués dans la myélinisation est particulièrement conservée entre la souris et l’homme.

La myélinisation est le processus par lequel des cellules, appelées oligodendrocytes, vont produire une gaine, la myéline, autour des neurones. Cette gaine permet une communication plus rapide entre les neurones. Des altérations dans l’intégrité de cette gaine peuvent impacter profondément la communication entre les structures du cerveau. Outre la diminution de l’expression des gènes liés à la myélinisation, une augmentation de l’expression du gène Sema4a, agissant comme un inhibiteur de la myélinisation, était également observée. Afin de tester le rôle causal de ce gène dans la genèse de comportements dépressifs, les scientifiques ont bloqué son expression dans le CCA chez la souris, avant de procéder à l’activation de la voie BLA-CCA. Ceci a permis de prévenir le développement de comportements de type dépressifs, montrant ainsi que Sema4a possède un rôle pivot dans leur mise en place. Pris dans leur ensemble, ces résultats mettent en évidence le rôle critique de la voie BLA-CCA dans la comorbidité entre douleur chronique et dépression. De par la combinaison des données obtenues chez l’homme et chez l’animal, cette étude dresse un tableau des mécanismes moléculaires sous-tendant un état dépressif et conservés entre les deux espèces. En particulier, elle met en lumière l’importance de la régulation de la myélinisation, notamment via Sema4a, dans le contrôle de l’humeur.

Vidéo « Ma thèse en 180s » : https://youtu.be/BrZu2CMy8QE

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© Ipek Yalcin, avec BioRender
Figure : A. L’activation optogénétique de la voie BLA-ACC reproduit une partie de la signature moléculaire de la dépression chez l’homme. B. Diminuer l’expression de Sema4a bloque les déficits émotionnels induits par l’activation de la voie BLA-CCA.

Pour en savoir plus :

The basolateral amygdala-anterior cingulate pathway contributes to depression-like behaviors and comorbidity with chronic pain behaviors in male mice
Léa J Becker, Clémentine Fillinger, Robin Waegaert, Sarah H Journée, Pierre Hener, Beyza Ayazgok, Muris Humo, Meltem Karatas, Maxime Thouaye, Mithil Gaikwad, Laetitia Degiorgis, Marie des Neiges Santin, Mary Mondino, Michel Barrot, El Chérif Ibrahim, Gustavo Turecki, Raoul Belzeaux, Pierre Veinante, Laura A Harsan, Sylvain Hugel, Pierre-Eric Lutz, Ipek Yalcin
Nature Communications (2023) 14(1):2198. DOI: 10.1038/s41467-023-37878-y.

 

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Ipek Yalcin
Directrice de recherche CNRS

Laboratoire

Institut des neurosciences cellulaires et intégratives - INCI (CNRS)
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