Comment les souvenirs des épisodes de vie s’inscrivent à long terme dans le cerveau ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Grâce à une tâche comportementale originale, les scientifiques ont montré  que les rats forment une mémoire épisodique ancienne proche de celle de l’homme. Comme chez l’humain, on observe une variabilité individuelle liée à l’expérience émotionnelle vécue lors des épisodes. Les réseaux cérébraux qui supportent les souvenirs sont à l’image de leur contenu, ils évoluent à chaque rappel et le cerveau émotionnel lié aux odeurs a une place privilégiée dans la mémoire épisodique ancienne. L’article est publié dans Progress in Neurobiology.

Imaginez des vacances ; vous revenez après de nombreuses années aux Goudes, une petite ville portuaire charmante de Marseille. Le vent est doux et légèrement salé, le soleil se couche, et vous sentez des odeurs de mer, de basilic, d'anis et de pierres chaudes. Et, comme par magie, vous vous rappelez de la première fois que vous avez visité cette ruelle avec votre sœur, de son visage radieux, du coucher de soleil qui semblait être au bout du monde, et d’enfants qui couraient dans les rues étroites et colorées, sous le regard de vieilles dames qui discutaient sur des chaises devant leur maison.

Il s'agit de la mémoire épisodique : un épisode de votre vie qui s'est produit il y a longtemps, qui n'est pas forcément traumatique, mais dont vous pouvez vous rappeler et revivre dans les moindres détails. Cette forme particulière de mémoire, qui associe plusieurs informations (quoi, où, quand, dans quel contexte) et qui fait appel à plusieurs sens, recrute des zones cérébrales éloignées pendant l'encodage et le rappel. Bien que ces moments puissent ne persister que quelques heures, ils peuvent aussi rester ancrés dans notre mémoire pendant des années. Des souvenirs épisodiques personnels que nous n’apprenons pas à mémoriser mais que nous vivons tout simplement ; des souvenirs qui nous permettent de différencier des expériences de vie avec des éléments communs ; des souvenirs dont les portes s'ouvrent parfois avec un seul élément, comme une odeur... Cependant, ces souvenirs évoluent avec le temps, ils sont remis à jour, certains détails sont oubliés, d'autres transformés, et lorsque ces souvenirs s'effacent, notre histoire personnelle et notre identité peuvent être altérées, car ces souvenirs sont le cœur de notre vie.

Au cours des 30 dernières années, grâce à de nouveaux paradigmes comportementaux, la recherche clinique et fondamentale, a réalisé des progrès remarquables dans la compréhension des processus neurobiologiques qui permettent d’encoder, de stocker et de rappeler différentes formes de mémoire. Cependant, l’étude et la modélisation de la mémoire épisodique constituent un défi majeur, tant chez l’homme que chez l’animal, si l'on considère l'ensemble de ses caractéristiques si particulières.

Dans cette étude, les scientifiques ont utilisé une tâche comportementale originale leur permettant de caractériser pour la première fois les souvenirs épisodiques anciens chez le rat et les réseaux cérébraux associés. Ils montrent que :

  • Les rats peuvent, sans entraînement, former et rappeler des souvenirs épisodiques anciens issus de deux épisodes complexes rencontrés occasionnellement dans leur vie
  • Il y a plusieurs profils individuels de mémoire épisodique avec différents contenus et niveaux de détails, similaires à ceux observés chez l’homme
  • Malgré qu’elle soit robuste, la mémoire épisodique reste fragile si elle est rappelée dans des situations mélangeant les informations de différents épisodes
  • Le contenu de la mémoire épisodique ancienne est corrélé aux expériences émotionnelles individuelles vécues pendant les épisodes et, en particulier, celles liées aux odeurs
  • Les réseaux cérébraux associés au rappel de la mémoire reflètent le contenu et le niveau de détails des différents souvenirs épisodiques anciens
  • Les réseaux cérébraux émotionnels en lien avec la mémoire des odeurs tiennent une place privilégiée quand la mémoire épisodique devient ancienne
  • Lors du rappel de la mémoire, des processus de plasticité synaptique dans les zones cortico-hippocampiques sont corrélés à la mise à jour et/ou au renforcement de la mémoire

Ces résultats offrent de nouvelles perspectives d’études sur les mécanismes impliqués dans le stockage des souvenirs des épisodes de vie, que ce soit dans le contexte du vieillissement normal et dans diverses pathologies associées aux troubles de la mémoire. Cette étude place une nouvelle fois les odeurs et leurs liens particuliers avec les émotions au centre du fonctionnement de la mémoire.

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© Alexandra Veyrac

Figure : Des rats forment des souvenirs épisodiques au travers de courtes expériences qu’ils vont se faire d’odeurs (What-Quoi) associées à une solution sucrée agréable ou amère qu’ils rencontrent sur certains ports à odeurs (Where-Où) d’une enceinte expérimentale dont l’ambiance visuelle et sonore est différente pour chaque épisode (In which context-Dans quel contexte). Un mois plus tard, les rats sont remis dans le contexte d’un épisode déjà vécu afin d’évaluer leur mémoire épisodique ancienne. Le contenu de la mémoire est différent selon les individus, certains se souviennent de tout (profil What-Where-Which), certains seulement de l’endroit (profil Where), d’autres d’aucune information (profil Indéterminé). Une méthode d’imagerie cellulaire a permis de montrer que les aires cérébrales recrutées lors du rappel sont différentes selon le contenu du souvenir stocké (réseau restreint des rats ayant un profil Where versus un réseau élargi avec une place importante des aires émotionnelles liées aux odeurs pour les rats ayant un profil What-Where-Which). Quelque soit son contenu, la mémoire épisodique ancienne évolue à chaque rappel avec des réseaux cérébraux fonctionnels qui hébergent de la plasticité synaptique en lien avec la mise à jour et/ou le renforcement du souvenir épisodique. 

Pour en savoir plus
Distinct brain networks for remote episodic memory depending on content and emotional experience
Auguste A, Fourcaud-Trocmé N, Meunier D, Gros A, Garcia S, Messaoudi B, Thevenet M, Ravel N, Veyrac A.
Progress in Neurobiology. April, 2023. DOI:https://doi.org/10.1016/j.pneurobio.2023.102422

Contact

Alexandra Veyrac
Chargée de recherche CNRS

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon - CRNL (CNRS/Inserm/Université Lyon 1)
Equipe « Codage et Mémoire Olfactive »

Centre Hospitalier Le Vinatier- Bâtiment 462- Neurocampus
95 boulevard Pinel
69675 Bron