Variation du dosage des gènes Hox et diversification des ailes chez les insectes

Résultats scientifiques Développement, évolution

Les insectes ont envahi tout l’espace aérien sur Terre, et cette expansion étonnante n’aurait pu avoir lieu sans une remarquable diversification morphologique de leurs appendices de vol. Comment un tel phénomène a-t-il pu se produire ? Ce travail publié dans la revue Nature Communications révèle que des variations du dosage d’expression d’une famille évolutivement conservée de gènes développementaux, appelés gènes Hox, peuvent contribuer à la diversification des organes de vol chez les insectes.

Les insectes ont développé diverses stratégies de vol, ce qui se reflète au niveau de leurs appendices de vol. Par exemple, les insectes peuvent utiliser deux paires d'ailes de morphologie similaire, comme observées chez les libellules ou les Damsel, ou deux paires d’ailes différentes, comme observées chez les abeilles ou les papillons. Encore plus étonnant, l’aile peut aussi être remplacée par un organe complètement différent, de type élytre (organe protecteur) chez les coléoptères ou haltère (organe d’équilibre du vol) chez les mouches. Comment une telle diversité morphologique a-t-elle pu avoir lieu au cours de l’évolution des insectes ?

La plupart de nos connaissances actuelles proviennent de travaux sur la mouche des fruits Drosophila melanogaster et le coléoptère Tribolium castaneum. Chez ces deux espèces, l'expression du gène Ultrabithorax (Ubx) est nécessaire à la formation de l’appendice de vol postérieur. Ainsi, chez les drosophiles mutantes du gène Ubx, les haltères sont remplacées par une paire d'ailes postérieures. Ce gène Ubx  appartient à une famille de gènes évolutivement très conservée dans le règne animal, appelée "gènes Hox", qui agissent comme instructeurs pour dicter aux cellules comment elles doivent se différencier au cours du développement embryonnaire, plus particulièrement le long de l’axe antéro-postérieur.

Si le rôle du gène Ubx pour la formation des organes de vol postérieurs est bien établi, celui d'un autre gène Hox, appelé Antennapedia (Antp), est longtemps resté énigmatique pour la formation des ailes. Pour affronter cette question, les scientifiques ont utilisé de nouveaux anticorps contre la protéine Antp et des outils modernes de génétiques basés entre autres sur le système CRISPR/Cas9. Leurs résultats montrent que le gène Antp est nécessaire à la formation correcte de l’aile, et que la protéine Antp présente un profil d’expression dynamique au cours de son développement. Mais surtout, les chercheurs montrent que des mouches à quatre ailes (sans production de protéine Ubx) peuvent à nouveau former des haltères suite à une expression de Antp à des niveaux similaires à ceux de Ubx. En jouant sur des variations graduelles du dosage, les auteurs montrent que ces deux gènes ont la même capacité pour moduler la forme et la taille de l’aile, jusqu’à une transformation possible complète en haltère. Ces résultats établissent que ce n’est pas le type de gène Hox, mais son niveau d’expression, qui contrôle la formation d’une aile ou d’une haltère chez la mouche.

Enfin, en analysant les niveaux d’expression des gènes Antp et Ubx chez plusieurs insectes à quatre ailes, les scientifiques montrent une corrélation remarquable entre l’existence d’une morphologie similaire/différente entre les deux paires d’ailes, et le niveau d’expression similaire/différent des gènes Hox.

L’ensemble de ce travail permet ainsi de mieux comprendre le rôle controversé des gènes Hox sur la formation des ailes chez les insectes. Une variation du dosage des protéines spécifiées par ces gènes pourrait ainsi constituer un mécanisme moléculaire pour diversifier la morphologie des appendices de vol au cours de l'évolution des insectes.

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© Samir Merabet
Figure : Variation du dosage des gènes Hox et diversification morphologique des appendices de vol chez les insectes. Les gènes Antennapedia (Antp) et Ultrabithorax (Ubx) sont exprimés dans les primordia d’organes de vols antérieurs et postérieurs chez des insectes volants appartenant à différentes branches évolutives. Leur niveau d’expression est illustré par le gradient de couleur bleue. Les niveaux d’expression ne sont pas équivalents ni comparables entre les différentes espèces. Chez la drosophile, des contextes mutants pour Ubx (perte d’expression) ou Antp (gain d’expression) suffisent à transformer l’identité de l’haltère ou de l’aile suite à un changement de leur niveau d’expression.
 

Pour en savoir plus :
Hox dosage contributes to flight appendage morphology  in Drosophila
Rachel Paul, Guillaume Giraud, Katrin Domsch, Marilyne Duffraisse, Frédéric Marmigère, Soumen Khan, Solene Vanderperre, Ingrid Lohmann, Robby Stoks, LS
Shashidhara and Samir Merabet
Nature Communications 17 mai 2021.
https://doi.org/10.1038/s41467-021-23293-8

Contact

Samir Merabet
Chercheur CNRS à l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Lyon 2/ INRAE)

laboratoire

Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Lyon 2/ INRAE)
32/34 Av ; Tony Garnier

9007 Lyon, France.