Ce que le destin des cellules doit au hasard

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Les chercheurs ont exploré expérimentalement le lien entre la variabilité aléatoire dans l’expression des gènes et la différenciation cellulaire. En étudiant des progéniteurs érythrocytaires de poulet, ils ont obervé que la modification artificielle du niveau de bruit dans l’expression des gènes est systématiquement accompagnée d’une modification de la dynamique de différenciation. Ces résultats confirment le lien présumé entre bruit et différenciation et permet d’avancer vers de nouvelles pistes de contrôle de la différenciation. Ce travail est publié dans la revue Plos One.

L’expression de leurs gènes permet aux cellules de vivre, de se diviser et d’assurer leur fonction au sein d'un organisme multicellulaire. La nature moléculaire de ce processus (e.g. faible nombre de molécules, mouvement brownien…) le soumet à des variations dues au hasard. En effet, une cellule exprimera ses gènes différemment de la cellule voisine portant le même génome.

Il est maintenant admis que des variations dans ce niveau de hasard participe à la mise en place de nombreux processus biologiques (e.g. développement embryonnaire). De récentes découvertes ont par exemple permis de montrer qu'au cours de différents processus de différenciation, le niveau de variabilité aléatoire dans l’expression des gènes augmente transitoirement. Cette augmentation est interprétée comme permettant aux cellules d’explorer plus de combinaisons possibles de niveau d’expression génique et d'augmenter leur chance de trouver la bonne combinaison et d’acquérir leur état spécialisé terminal (e.g. globule rouge ou neurone). Cependant, l’interdépendance fonctionnelle entre la variabilité de l’expression des gènes et la différenciation n’a jamais été démontrée expérimentalement.

Pour ce faire, les chercheurs ont mis en œuvre une stratégie à base de molécules pharmacologiques capables de modifier le bruit de l'expression génétique. Dans cette étude, 3 molécules ont été sélectionnées pour modifier le niveau de variabilité de l’expression des gènes dans des cellules de poulet. L’utilisation de données transcriptomiques sur cellule unique a permis de mesurer leur impact sur la variabilité. Deux de ces molécules réduisent cette variabilité tandis que la dernière l’augmente.

Après avoir écarté l’existence d’autres effets indésirables, l'effet de ces 3 molécules a été testé sur des cellules en différenciation. Les résultats sont clairs : les deux molécules qui réduisent la variabilité de l’expression des gènes dans ces cellules réduisent également le pourcentage de cellules différenciées. Symétriquement, avec la troisième molécule, augmenter la variabilité s'accompagne d'une accélération de la différenciation. Pour finir, les chercheurs ont utilisé un modèle mathématique dynamique pour confirmer la spécificité de l’effet de ces drogues sur le taux de différenciation des cellules.

En résumé, en utilisant des données transcriptomiques en cellule unique couplées à un modèle mathématique, ils ont démontré expérimentalement pour la première fois un lien fonctionnel entre la variabilité de l’expression des gènes et le processus de différenciation. Cette étude confirme les points de vue théoriques sur le rôle du hasard dans la différenciation et ouvre les portes à de nouvelles pistes de contrôle de ce processus.

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© Anissa Guillemin & Olivier Gandrillon

Figure : Schéma explicatif du processus étudié. Les cellules sont simplifiées et représentées exprimant un gène x avec un niveau d'expression dans chaque cellule plus ou moins important représenté par la nuance de rose. Dans la condition contrôle, la variance de l'expression de ce gène est basique. Le traitement par des molécules pharmacologiques qui réduisent la variabilité de l'expression génique (SEG) en bleu rend l'expression de ce gène plus similaire entre les cellules (même nuance de rose). Cet effet est accompagné de la réduction du pourcentage de cellules différenciées observée après activation du processus de différenciation érythrocytaire aviaire. Le résultat inverse s'observe si on ajoute dans le milieu une molécule qui augmente le bruit (jaune) : la SEG entre cellules augmente (cellules de différentes nuances de rose) et ceci est accompagné d'une accélération de la différenciation.

Pour en savoir plus :

Drugs modulating stochastic gene expression affect the erythroid differentiation process.
Guillemin A, Duchesne R, Crauste F, Gonin-Giraud S, Gandrillon O.

PLoS One. 2019 Nov 21;14(11):e0225166. doi: 10.1371/journal.pone.0225166. eCollection 2019.

Contact

Olivier Gandrillon
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire de biologie de modélisation de la cellule (CNRS / ENS Lyon / Université Claude Bernard)