Vie et mort des cellules épithéliales : le rôle clé des forces mécaniques

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Les tissus épithéliaux, présents partout dans le corps humain, sont en interaction constante avec leur environnement. Le maintien de leur fonctionnalité nécessite un équilibre dynamique (homéostasie) et une régulation précise du nombre de cellules. Ce processus repose sur un mécanisme fascinant appelé extrusion cellulaire qui permet d’éliminer les cellules inutiles et potentiellement nuisibles. Dans un article publié dans Nature Physics, des scientifiques révèlent comment les forces physiques qui agissent sur les cellules influencent leur destin, les poussant soit à mourir soit à survivre. 

Un équilibre dynamique indispensable pour des tissus sains

Les tissus épithéliaux, en contact permanent avec leur environnement, se renouvellent en permanence, éliminant les cellules inutiles selon un processus appelé extrusion. Ce mécanisme est crucial pour préserver la santé des tissus, mais il joue également un rôle clé dans des phénomènes aussi divers que le développement des organes et la progression de maladies comme le cancer.

L'extrusion cellulaire peut entraîner des conséquences biologiques variées, selon que les cellules extrudées soient vivantes ou mortes. Par exemple, l'expulsion de cellules vivantes peut modifier la forme des tissus ou déclencher des réponses pathologiques. Cependant, jusqu'à récemment, les mécanismes physiques déterminant si une cellule extrudée survit ou meurt restaient mal compris.

Les forces mécaniques intercellulaires déterminent le destin des cellules extrudées

Dans les tissus épithéliaux, les cellules exercent des forces sur leurs voisines, et ces interactions physiques peuvent provoquer leur extrusion. Dans un article publié dans la revue Nature Physics, les scientifiques ont découvert que l'intensité et la durée des forces locales influencent directement le destin des cellules extrudées : celles-ci peuvent soit mourir, soit rester vivantes. Ces forces sont contrôlées par des structures spécifiques appelées jonctions adhérentes, en particulier celles contenant la protéine E-cadhérine.

Selon les scientifiques les cellules peuvent être extrudées dans deux directions :

  • Vers la face apicale, c’est-à-dire vers l’extérieur du tissu. : généralement associé à l’élimination des cellules mortes.
  • Vers la face basale, c’est-à-dire vers l’intérieur du tissu : souvent observé avec des cellules vivantes, ce qui peu favoriser des phénomènes comme l’invasion cellulaire, typique du développement tumoral.

Une étude multidisciplinaire

Dans cette étude, les scientifiques ont combiné la modélisation physique d'assemblages cellulaires tridimensionnels avec des expériences impliquant une modulation des jonctions adhérentes qui connectent les cellules et agissent comme des mécano-capteurs. Les scientifiques ont ainsi démontré qu'une transmission altérée des forces via les jonctions adhérentes peuvent modifier le mode d’extrusion, favorisant l’expulsion basale et influençant le destin des cellules.

Balasubramaniam, co-première auteure, explique : « Notre travail souligne l'importance des forces mécaniques dans le contrôle des tissus épithéliaux, ce qui pourrait aider à mieux comprendre leur rôle dans des cancers spécifiques. » 

 Monfared, également co-premier auteur, ajoute : « d’un point de vue physique, démontrer le lien entre la transmission des forces dans les cellules vivantes et leurs fonctions biologiques est significatif, car cela comble le fossé entre le domaine émergent de la matière active hors équilibre et la compréhension classique du comportement des particules inertes. Notre étude pose des bases solides pour unifier ces domaines apparemment disparates, ouvrant la voie à des avancées tant dans les sciences biologiques que dans l’ingénierie des matériaux. »

© Benoit Ladoux

Figure : Implication des forces mécaniques dans le destin des cellules extrudées (vivante ou morte) et dans le mode d’extrusion des cellules (apical ou basal).

En savoir plus : Dynamic forces shape the survival fate of eliminated cells. Lakshmi Balasubramaniam, Siavash Monfared, Aleksandra Ardaseva, Carine Rosse, Andreas Schoenit, Tien Dang, Chrystelle Maric, Mathieu Hautefeuille, Leyla Kocgozlu, Ranjith Chilupuri, Sushil Dubey, Elisabetta Marangoni, Bryant L.Doss, Philippe Chavrier, René-Marc Mège, Amin Doostmohammadi, Benoit Ladoux, Nature Physics 2025. https://doi.org/10.1038/s41567-024-02716-5 

Contact

Benoit Ladoux
Professeur au FAU Erlangen-Nuremberg
René-Marc Mège
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Institut Jacques Monod - IJM (CNRS/Université Paris Cité)
15 rue Hélène Buffon
Paris