Une révolution dans la structure de la membrane pour comprendre l'adaptation aux conditions de vie extrêmes

Résultats scientifiques Biochimie-biologie structurale

Pour survivre une cellule doit constamment s'adapter aux changements de son environnement. Au niveau membranaire, il est admis que la vie en conditions extrêmes requiert des lipides capables de former des membranes en monocouche. En combinant des approches de physique et de chimie de la membrane, les scientifiques montrent qu'une bicouche dont l'interface est saturée d'hydrocarbures est une voie d'adaptation possible aux conditions extrêmes. Publiée dans la revue Communications Biology, cette ultrastructure exceptionnelle prédaterait l'existence de la monocouche et pourrait aider à comprendre l'apparition des premières membranes sur Terre.

La membrane plasmique d'une cellule n'est pas uniquement une barrière physique entre l'intérieur d'une cellule et son environnement. C'est une structure dynamique indispensable pour de nombreux processus cellulaires tels que le contrôle du trafic membranaire, la production d'énergie, la perception de l'environnement… Pour survivre une cellule doit maintenir cette membrane fonctionnelle à tout prix et quelles que soient les conditions environnementales et leurs variations. On appelle cette nécessité l'adaptation homéovisqueuse de la membrane. Elle est réalisée en adaptant en temps réel la composition en lipides des membranes.

Les lipides membranaires sont des molécules amphiphiles, possédant une extrémité hydrophile (la tête polaire) et une extrémité hydrophobe (les chaines aliphatiques). Ils s'assemblent spontanément sous forme de bi-couche avec les têtes polaires pointant vers le milieu aqueux et les chaines aliphatiques formant une région hydrophobe au centre. Jusqu'à aujourd'hui, il était admis que deux adaptations structurales des lipides des membranes permettaient la vie en conditions extrêmes: 1) la synthèse de lipides transmembranaires, à deux têtes polaires formant des membranes en mono-couche 2) la connexion des chaines lipidiques sur les têtes polaires des lipides par des liaisons éther au lieu de liaisons ester. De fait, grâce à ces liaisons éther, ces lipides sont beaucoup plus stables chimiquement. Grâce à leur deux têtes polaires, qui chacune pointe sur une des deux faces de la membrane, ces lipides forment des monocouches lipidiques plus compactes, imperméables et stables. Plusieurs observations montrent qu'il pourrait exister d'autres voies adaptatives aux conditions extrêmes, comme par exemple dans le cas de certaines archées hyperthermophiles. Leur température de croissance optimale est supérieure à 80°C mais leur membrane est une bi-couche lipidique, ce qui pose la question de la stabilité de cette membrane.

Pour expliquer la stabilité de cette bi-couche lipidique dans ces conditions de vie extrêmes, les scientifiques proposent une nouvelle architecture de membrane dans laquelle cette dernière ne serait pas constituée uniquement de lipides, mais contiendrait des hydrocarbures insérés à l'interface entre les deux faces de la bi-couche. Selon ce modèle, les propriétés physico-chimiques de la membrane seraient compatibles avec sa fonctionnalité.

Dans cette étude, les chercheurs ont combiné différentes approches de physique fondamentale (diffraction, contraste atomique, spectroscopie), pour apporter la preuve expérimentale des propriétés exceptionnelles de cette nouvelle ultrastructure membranaire. Comme le prédit le modèle, l'insertion des hydrocarbures (squalane) dans le centre de la membrane se caractérise par un élargissement de son domaine de stabilité vers des températures plus élevées et une forte réduction de la perméabilité aux protons, essentiels pour le maintien de la fonction membranaires à haute température. Par ailleurs, en relâchant les contraintes topologiques des chaines hydrophobes des lipides dans la membrane, les hydrocarbures apolaires permettent à la membrane d'adopter des courbures qui seraient inaccessibles pour ces lipides en leur absence et confèrent à la membrane des capacités nouvelles. De fait, ces courbures positives ou négatives sont essentielles dans plusieurs processus, tels que la fusion/fission membranaire ou l'insertion de nombreuses protéines dans la membrane.

L'existence de cette nouvelle voie d'adaptation pour la membrane (qui ne requiert pas l'"invention" évolutive, peu probable, de lipides à deux têtes polaires) a de nombreuses implications pour comprendre l'adaptation des cellules contemporaines. On peut penser qu'elle a pu jouer également un rôle important dans l'émergence des premières membranes puis dans l'évolution précoce des procaryotes.

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© Marta Salvador-Castell, Philippe Oger
Figure : Impact de l'insertion d'hydrocarbure apolaire dans la membrane plasmique. A) Densité de longueur de diffusion neutronique en présence de squalane hydrogéné (noir) ou deutéré (rouge). La surdensité observée au centre de la bi-couche qui est représenté en filigrane à l'arrière du graphe, montre la localisation du squalane. Comme on peut le voir, il se situe au sein de la bicouche lipidique. L'épaisseur qu'il occupe indique qu'il est principalement orienté parallèlement au plan de la membrane. B) Représentation schématique de la nouvelle ultrastructure membranaire en bi-couche. L'insertion du squalane dans le centre de la membrane  modifie principalement l'épaisseur de la bicouche et l'épaisseur de la couche d'eau d'hydratation.
 

Pour en savoir plus : 
Characterisation of a synthetic Archeal membrane reveals a possible new adaptation route to extreme conditions
Marta Salvador-Castell, Maksym Golub, Nelli Erwin, Bruno Demé, Nicholas J. Brooks, Roland Winter, Judith Peters et Philippe M. Oger.
Communications Biology. 2 juin 2021.
https://doi.org/10.1038/s42003-021-02178-y

Contact

Philippe Oger
Chercheur CNRS au Laboratoire de microbiologie, adaptation et pathogénie (CNRS/INSA de Lyon/Université Claude Bernard Lyon1)

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Laboratoire de microbiologie, adaptation et pathogénie (CNRS/INSA de Lyon/Université Claude Bernard Lyon1)
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