Un phospholipide assure la conversion analogique/numérique au sein des membranes

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

La membrane des cellules est une barrière physique qui isole l’intérieur de la cellule du milieu extérieur. Elle est également un centre de traitement et d’échange d’informations puisque c’est le lieu où les cellules perçoivent les conditions extérieures et communiquent avec leurs voisines. Les chercheurs ont mis en lumière le rôle particulier de certains lipides dans la transmission du signal à travers la membrane des cellules. Publié dans la revue Science, ces travaux apportent un éclairage sur les mécanismes qui assurent la communication entre les cellules et ainsi permettent une coordination des comportements cellulaires au cours de la croissance.

La membrane cellulaire, appelée membrane plasmique, assure un rôle de barrière tout en permettant la transmission de signaux biochimiques à travers elle. Mais comment le relais d’information se fait-il de façon fidèle ? L’un des mécanismes proposés pour le traitement d’information à travers la membrane est que celle-ci fonctionne comme un convertisseur analogique-numérique, similaire à ceux utilisés en électronique. Pour cela, la membrane plasmique convertit un signal de type analogique (système continu, comprenant par exemple toutes les valeurs comprises entre 0 et 1) en un signal numérique (ou digital, représenté par un système binaire de suite de 0 et de 1 appelés « bits »). Par exemple, des convertisseurs analogique-numériques sont utilisés dans un microphone pour convertir le signal acoustique (signal analogique) en signal électrique (signal numérique). De façon similaire, la membrane plasmique permet de convertir les signaux biochimiques de type analogiques en information numérique.

Pour assurer cette conversion, la membrane est équipée de récepteurs enchâssés dans les lipides membranaires qui vont reconnaître les molécules à l’extérieur de la cellule. La perception de ces signaux induit le regroupement des récepteurs au sein de domaines de quelques dizaines de nanomètres, appelés nanodomaines membranaires. Seuls les récepteurs présents dans ces nanodomaines sont capables d’émettre un signal. Ainsi, chaque nanodomaine peux être assimilé à une unité de signal (représentant une valeur de « bit » de 1) alors que les récepteurs qui ne sont pas associé à ces structures ont une valeur de 0. La quantité de nanodomaines est donc proportionnelle aux signaux analogiques entrant, dans ce cas, la quantité de molécule reconnue à l’extérieur de la cellule.

L’un des avantages de la conversion du signal analogique en numérique et qu’il est plus facile à manipuler. Toujours avec l’exemple du traitement du son, il est facile avec un convertisseur analogique-numérique d’ajuster son gain, c’est-à-dire de modifier la sensibilité du capteur. Ainsi, si le gain est bas, seul les sons à fort décibel vont activer le capteur et seront enregistrés. Au contraire, si le gain est élevé, le capteur sera sensible au faible bruit, mais le signal risque d’être saturé par des sons trop forts.

Les chercheurs se sont demandés si les systèmes biologiques peuvent modifier le « gain » de la membrane plasmique et ce par la capacité des récepteurs à former des nanodomaines ? Pour répondre à cette question, ils ont utilisé comme modèle une plante à fleur, Arabidopsis thaliana, et des techniques de microscopie de pointe dite de « super-résolution », capable d’analyser la localisation des molécules sur des tissus intacts vivants et à l’échelle de quelques dizaines de nanomètres. Ils montrent qu’un lipide membranaire, appelé phosphatidylsérine, permet la formation des nanodomaines en réponse à des signaux hormonaux. Les chercheurs ont montré que la quantité de phosphatidylsérine à la membrane plasmique varie à l’intérieur des tissus végétaux. Ces variations en phosphatidylsérine ont une incidence directe sur la formation des nanodomaines et donc leur capacité à répondre aux signaux extérieurs.

Ainsi, les membranes avec peu de phosphatidylsérine peuvent être considérées comme ayant un convertisseur analogique-numérique à faible gain. Il faut dans ce cas une forte quantité d’hormone pour activer la formation des nanodomaines et donc la transmission d’un signal à l’intérieur de la cellule. A l’opposé, les cellules avec beaucoup de phosphatidylsérine vont facilement former des nanodomaines même en présence d’une quantité faible d’hormone. La phosphatidylsérine agirait donc comme un gain digital permettant d’ajuster la sensibilité des cellules à certains signaux extérieurs.

Cette étude montre que ce système est important pour le développement des plantes, comme par exemple leur réponse à la gravité ou la mise en place de la forme des cellules. Comme la phosphatidylsérine est également impliquée dans la formation de nanodomaines chez les levures et chez l’homme, il est possible que ce système de « gain biologique » soit utilisé dans bien d’autres organismes.

figure_jaillais
Figure : les chercheurs utilisent l’arabette des dames comme modèle pour comprendre comment les cellules communiquent entre elles. Les images  sont des clichés de microscopie. L’image de gauche montre la localisation du lipide phosphatidylserine dans des cellules de racines (en jaune et vert). L’image du milieu montre le contour des cellules à la surface des feuilles. Chez les plantes contrôles, ces cellules ont une forme multilobée s’imbriquant les unes aux autres tels les pièces d’un puzzle. Ces cellules perdent leur forme caractéristique lorsque la synthèse de phosphatidylserine est dérégulée (image de droite).
© Matthieu Platre

 

En savoir plus
Developmental control of plant Rho GTPase nano-organization by the lipid phosphatidylserine
Platre M, Bayle V, Armengot L, Bareille J, Marques-Bueno MM, Creff A, Maneta-Peyret L, Fiche JB, Nolmann M, Miège C, Moreau P, Martinère-Delaunay A Jaillais Y
Science  05 Apr 2019 Vol 364, No 6435, pp57-62 . DOI: 10.1126/science.aav9959

 

Contact

Yvon Jaillais
Chercheur CNRS au laboratoire Reproduction et développement des plantes