Un nouveau regard sur la régulation de l’expression génétique

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Lorsque les ARN ne sont pas utilisés, ils peuvent s’accumuler dans d’épaisses gouttelettes cytoplasmiques appelées P-bodies. Est-ce une stratégie cellulaire pour contrôler la production de protéines, ou un comportement spontané des ARN en surplus ? Une étude parue dans la revue Molecular Cell montre que, dans des cellules humaines, le contenu des P-bodies évolue au cours du cycle cellulaire pour s’adapter aux besoins en protéines. Ces gouttelettes d’ARN participent donc activement au contrôle de l’expression génétique.

Les P-bodies : des compartiments sans membrane qui isolent les ARN messagers

Les cellules eucaryotes ne sont pas juste un sac où ont lieu des réactions moléculaires. Elles contiennent des sous-compartiments entourés de membranes, comme le noyau ou les mitochondries, mais aussi sans membrane. Les P-bodies en sont un bel exemple. Ces gouttelettes microscopiques (500 nm) constituées d’ARN et de protéines sont présentes de façon constitutive dans le cytoplasme des cellules. Mais à quoi servent-elles ? Deux scénarios s’affrontent. Les P-bodies pourraient remplir une fonction en isolant du cytoplasme les ARNm non utilisés, avec les protéines qui les recouvrent. Alternativement, une partie des ARNm pourrait condenser passivement dans les P-bodies à cause de leurs propriétés physicochimiques, sans assurer de fonction. 
 

Le contenu des P-bodies au fil du cycle cellulaire

Pour trancher entre les deux, les scientifiques, dans un article publié dans la revue Molecular Cell, ont examiné le contenu des P-bodies lors d’un processus dynamique, le cycle cellulaire, au cours duquel les cellules vont devoir produire certaines protéines de façon séquentielle. Pour cela ils ont mené un travail de titan pour purifier à grande échelle des P-bodies aux différentes phases du cycle cellulaire puis séquencer leurs ARN. Ils ont aussi visualisé au microscope des ARNm codant des protéines importantes pour la progression dans le cycle cellulaire. Le résultat est sans appel : le contenu en ARNm des P-bodies évolue au cours du cycle cellulaire, et ceci n’est pas guidé par la seule quantité d’ARNm non traduits. Les exemples analysés en plus grands détails montrent que les ARNm se relocalisent dans les P-bodies lorsque la protéine qu’ils codent n’est plus nécessaire. Les données suggèrent que la condensation des ARNm dans les P-bodies est un moyen de les mettre à l’écart pour verrouiller leur utilisation.
 

Un nouveau regard sur la régulation de l’expression génétique

Maintenant, sachant qu’une cellule contient plusieurs centaines de milliers de molécules d’ARNm, transcrits à partir d’une quinzaine de milliers de gènes, comment distinguer quels ARNm doivent être envoyés dans les P-bodies et quand les y envoyer ? De façon générale, ce sont les ARNm riches en nucléotides A et U qui condensent dans les P-bodies. Cependant ceci peut être modulé par des protéines liées aux ARNm, comme HuR qui empêche la condensation de certains ARNm en phase G2 du cycle cellulaire. Rajoutons qu’à chaque mitose, les P-bodies se dissolvent pour se reformer en phase G1, et que cette nouvelle condensation implique des ARNm particulièrement longs.

En conclusion, cette étude, ajoute une couche supplémentaire au mille-feuille de la régulation de l’expression génétique. Pour contrôler de façon fine la production de protéines, la cellule peut jouer non seulement sur le nombre d’ARNm produits, sur l’efficacité de leur traduction en protéine, mais aussi sur leur mise à l’écart dans des gouttelettes épaisses. Cette étude offre aussi des perspectives originales quant au mécanisme de formation de ces compartiments sans membrane.

© Adham Safieddine

Figure : Localisation variable des ARNm dans les P-bodies au cours du cycle cellulaire
Les ARN du gène TOP2A ont été détectés par la technique de smFISH (hybridation in situ fluorescente sur molécule unique) qui permet de visualiser des molécules individuelles sous forme de points (ici verts) en microscopie. Les P-bodies ont été marqués par immunofluorescence (foci rouges), et le noyau de la cellule est en bleu. Dans la cellule de gauche, en phase G2 du cycle cellulaire, le cytoplasme contient plusieurs centaines d’ARNm TOP2A, mais peu sont localisés dans les P-bodies (qui apparaissent rouges). Dans la cellule de droite, en début de phase G1, les ARN TOP2A s’accumulent dans les P-bodies (la superposition des signaux rouge et du vert est codée en jaune), avec seulement deux dizaines de molécules libres dans le cytoplasme.

En savoir plus :
Cell cycle-dependent mRNA localization in P-bodies
A. Safieddine, M-N. Benassy, T. Bonte, F. Slimani, O. Pourcelot, M. Kress, M. Ernoult-Lange, M. Courel, E. Coleno, A. Imbert, A. Laine, A. Munier Godebert, A. Vinit, C. Blugeon, G. Chevreux, D. Gautheret, T. Walter, E. Bertrand, M. Bénard, D. Weil
Molecular Cell, 7 novembre 2024, DOI : 10.1016/j.molcel.2024.09.011.

Contact

Dominique Weil
Chercheuse CNRS au Laboratoire de biologie du développement

Laboratoire

Laboratoire de Biologie du Développement - LBD (CNRS / Sorbonne Université)
Institut de Biologie Paris Seine
Sorbonne Université
7 quai Saint Bernard
75005 Paris