Un nouveau chef d’orchestre pour le développement des nodules fixateurs d’azote

Résultats scientifiques

L’équipe de Pascal Gamas au Laboratoire des interactions plantes microorganismes (Inra-CNRS Toulouse) a découvert l’importance de déméthylations1 de l’ADN végétal pour la reprogrammation de l’expression génique et la différenciation coordonnée des cellules végétales et bactériennes lors de la symbiose rhizobium-légumineuse. Ces résultats, publiés le 31 octobre 2016 dans la revue Nature Plants, ouvrent de nouvelles perspectives sur l’évolution de la nodulation et l’identification de régulateurs globaux de ce processus précieux pour l’environnement et l’agriculture durable.

Les symbioses entre les plantes de la famille des légumineuses et les rhizobiums, bactéries capables de fixer l’azote atmosphérique, sont particulièrement précieuses pour une agriculture durable économe en intrants et produisant peu de gaz à effet de serre. Ces symbioses nécessitent la formation d’un organe spécifique, le nodule racinaire, qui héberge les bactéries et leur fournit l’environnement requis pour la fixation de l’azote et les échanges métaboliques avec la plante. Le développement de ce nodule est un modèle biologique unique pour étudier le couplage d’un programme organogénétique et d’une interaction positive plante-bactérie, impliquant des processus de différenciation coordonnée des cellules végétales et bactériennes. La différenciation est terminale pour les bactéries présentes au sein de nodules de type indéterminé tels que ceux générés par la légumineuse modèle Medicago truncatula. Au cours de ces dernières années, des gènes végétaux jouant un rôle clef dans la différenciation terminale des bactéries (les gènes codant pour des peptides NCR = Nodule-specific Cystein-Rich) ont été identifiés. Le contrôle de leur expression et plus généralement de centaines de gènes fortement et spécifiquement exprimés dans le nodule reste cependant très mal compris.
Grâce à une approche de microdissection laser de cinq zones nodulaires (voir figure) couplée à un séquençage massif d’ARNs, les chercheurs ont découvert que différents gènes végétaux contrôlant la méthylation de l’ADN sont spatialement régulés au sein du nodule symbiotique. Ainsi l’ADN déméthylase DEMETER (DME), seulement connue jusque là pour son rôle clef dans le développement de la graine, est spécifiquement exprimée dans la zone de différenciation nodulaire (fractions FIIp et IZ de la figure), tandis qu’au contraire différentes ADN méthylases sont exprimées dans les zones apicales (sub)méristématiques (fractions FI et FIId de la figure) et réprimées dans la zone de différenciation. De façon cohérente, plusieurs centaines d’éléments transposables végétaux (normalement réprimés par méthylation) sont activés au niveau transcriptionnel dans cette zone de différenciation. Nous avons montré l’importance fonctionnelle de la déméthylation DME-dépendante par ARN interférence. En effet une diminution de l’expression de DME dans des racines transgéniques provoque une altération de la différenciation nodulaire et de l’expression de nombreux gènes, résultant en des nodules incapables de fixer l’azote atmosphérique. L’analyse fine de régions ciblées sur le génome (par capture génomique couplée à du séquençage bisulfite) a permis d’identifier plusieurs centaines de régions génomiques méthylées de manière différentielle au cours du développement nodulaire et comportant des gènes clefs pour le développement nodulaire, fortement exprimés dans la zone de différenciation (dont de nombreux gènes NCR). Un lien direct entre niveau de (dé)méthylation sous contrôle de DME et niveau d’expression a été établi pour une partie d’entre elles. 
Les modifications de méthylation de l’ADN peuvent avoir diverses conséquences, notamment sur la production de petits ARNs non codants (siRNAs), mais les chercheurs privilégient l’hypothèse que la déméthylation de régions promotrices facilite l’accès de facteurs de transcription pour l’expression de gènes importants pour la différenciation. L’activation transcriptionnelle de DME étant retrouvée dans les nodules indéterminés d’autres légumineuses (pois et luzerne), ces résultats suggèrent que la nodulation a recruté au cours de l’évolution des mécanismes originellement dédiés au contrôle des éléments transposables, de manière à assurer une régulation forte et coordonnée d’un réseau de gènes symbiotiques.

1. : les déméthylations concernent une partie des cytosines, une des quatre bases constitutives de l’ADN ; lorsque les cytosines sont méthylées, la séquence ADN n'est pas modifiée, mais l’expression génique peut être altérée ; l'étude de ce phénomène relève de l’épigénétique.

 

Image retirée.

Figure : Le nodule indéterminé fonctionnel comprend cinq zones majeures : une zone méristématique apicale (FI), une zone d’infection par le rhizobium (FIId), une zone de différenciation (FIIp), une interzone II-III (IZ, correspondant aux évènements de différenciation tardifs) et une zone de fixation de l’azote atmosphérique (ZIII). Plusieurs centaines de gènes (dénommés ici G1, G2, G3…) montrent une hyperméthylation de leur région promotrice dans la partie apicale du nodule (FI et FIId,) et une hypométhylation dans les zones de différenciation (FIIp et IZ). Un certain nombre d’entre eux sont à proximité immédiate d’éléments transposables (TE) co-régulés. La déméthylation peut être passive (par arrêt d’expression des méthylases) ou active via l’ADN déméthylase DEMETER (DME). Les chercheurs proposent que le rôle principal de la déméthylation soit de favoriser l’accès de facteurs de transcription et de permettre ainsi l’activation transcriptionnelle de gènes de différenciation nodulaire.

© Carine Satgé et Pascal Gamas

 

 

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Pascal Gamas