Quand le nombre de chromosomes déraille : un mécanisme inédit pour protéger l’intégrité du génome
La mauvaise ségrégation des chromosomes lors de la division cellulaire entraîne des anomalies qui perturbent le bon fonctionnement de la cellule. Les cellules avec un nombre chromosomique anormal activent en conséquence des mécanismes afin d’empêcher leur propagation, Dans une étude publiée dans Nature Cell Biology des scientifiques révèlent comment sont détectés ces anomalies chromosomiques. Ces résultats mettent en lumière un rôle inédit de la mécanique du noyau dans ce processus.
L’aneuploïdie et ses conséquences sur la cellule
L'aneuploïdie, un état où les cellules possèdent un nombre incorrect de chromosomes, est observée dans 90 % des tumeurs solides. Elle résulte d'erreurs dans la ségrégation des chromosomes de la cellule mère vers les deux cellules filles lors de la mitose, c’est-à-dire la division cellulaire, et conduit à l'activation de p53, une protéine clé qui empêche les cellules anormales de se diviser. Lorsque p53 est mutée, ce qui se produit en moyenne dans un cancer sur deux, ces cellules peuvent continuer à se diviser, accumuler davantage de mutations et, en fin de compte, conduire au développement d’un cancer. La manière dont les anomalies du nombre de chromosomes sont détectées pour activer cette voie reste une question ouverte dans la recherche sur le cancer.
Le rôle de la mécanique nucléaire dans la détection des erreurs de ségrégation
Grâce à un système génétique permettant de provoquer des mitoses anormales de manière contrôlée, les scientifiques, dans un article publié dans la revue Nature Cell Biology, ont démontré que les erreurs de ségrégation des chromosomes altèrent la forme du noyau ainsi que ses propriétés mécaniques. La forme et la mécanique du noyau sont connues pour être influencées par des facteurs internes, tels que l'organisation de la chromatine (la structure contenant l'ADN) et la lamina nucléaire (un réseau de protéines soutenant le noyau), ainsi que par des forces mécaniques externes. Ces interactions complexes impactent l'intégrité du génome et la fonction cellulaire. Les scientifiques ont découvert que la forme nucléaire altérée induite par les erreurs mitotiques affecte l'organisation de la chromatine, l'assemblage correct de la lamina et la mécanique nucléaire, réduisant globalement la rigidité nucléaire et augmentant la tension de l'enveloppe nucléaire.
La forme et la mécanique du noyau sont connues pour être influencées par l’organisation de l’ADN avec les protéines qui lui sont associées (collectivement appelés chromatine) à l’intérieur du noyau, ainsi que par l’état du réseau filamenteux de protéines qui entoure le noyau, la lamina nucléaire. « Nous avons été surpris de constater que les anomalies structurelles du noyau étaient suffisantes pour déclencher le point de contrôle p53. Cela indique que les cellules surveillent l’état de l’interface chromatine-lamina nucléaire. Ce mécanisme agit comme un point de contrôle, empêchant la prolifération des cellules aneuploïdes », explique Yekaterina Miroshnikova, auteure senior de l’étude.
Les scientifiques ont également identifié les mécanismes moléculaires qui détectent ces anomalies mécaniques et de forme du noyau et ont démontré que des inhibiteurs chimiques ciblant ces voies, notamment les voies de signalisation mTOR et ATR, peuvent empêcher l’activation de p53. « Fait important, nous avons découvert que ce mécanisme de surveillance est utilisé dans divers autres contextes. Par exemple, il est activé dans des situations liées au vieillissement, comme dans une maladie appelée progéria, caractérisée par des symptômes de vieillissement prématuré chez les patients et par une altération de l’assemblage de la lamina nucléaire au niveau cellulaire. Ces résultats soulignent le rôle crucial de la détection des anomalies mécaniques du noyau dans divers contextes pathologiques », explique Daniele Fachinetti, auteur senior de l’étude.
En conclusion, ces résultats éclairent la manière dont les cellules détectent une organisation anormale de la chromatine et des anomalies chromosomiques, activent un point de contrôle protecteur pour empêcher la prolifération des cellules dysfonctionnelles. Bien que la détection des altérations mécaniques nucléaires limite la prolifération des cellules anormales, ces changements peuvent également avoir des effets néfastes. Par exemple, les scientifiques démontrent qu’une souplesse accrue du noyau améliore la capacité des cellules aneuploïdes à se déformer et à envahir des environnements complexes, un processus qui peut favoriser les métastases, en particulier lorsque le point de contrôle est contourné par des mutations de p53, fréquentes dans les cancers.
Ainsi, la mécanique nucléaire émerge comme une piste prometteuse pour mieux détecter et cibler les cellules pathologiques dans le cadre du cancer et des maladies liées au vieillissement.
Figure : Un point de contrôle nucléaire mécanoréceptif déclenche l'arrêt du cycle cellulaire après une mauvaise ségrégation des chromosomes. Des erreurs de ségrégation chromosomique pendant la mitose, induites par exemple par une dysfonction du centromère (les points rouges représentent des centromères inactifs), entraînent une déformation et un ramollissement du noyau, une réduction des niveaux d'hétérochromatine à la périphérie nucléaire et des défauts dans l'assemblage des lamines. Ces altérations augmentent la tension sur l'enveloppe nucléaire des cellules filles, provoquant l'activation des mécanorécepteurs mTORC2 et ATR, ce qui déclenche un arrêt du cycle cellulaire de manière dépendante de p53 et p21.
En savoir plus : Hervé, S., Scelfo, A., Bersano Marchisio, G. et al. Chromosome mis-segregation triggers cell cycle arrest through a mechanosensitive nuclear envelope checkpoint. Nat Cell Biol 27, 73–86 (2025). https://doi.org/10.1038/s41556-024-01565-x
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Biologie cellulaire et cancer (CNRS/Institut Curie)
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