PRDM9 : un gène énigmatique au cœur de l’évolution
La recombinaison entre chromosomes parentaux, caractéristique de la reproduction sexuée, joue un rôle crucial dans l’évolution. Chez les mammifères, une protéine, PRDM9, est essentielle à ce processus. Dans un article publié dans PLOS Biology, des scientifiques montrent que cette protéine existe également chez les salmonidés et fonctionne de manière équivalente. Ces résultats, qui prouvent l’origine ancienne de PRDM9, ouvrent de nouvelles perspectives sur l’évolution des génomes à travers les âges.
Le rôle crucial de la recombinaison génétique
La reproduction sexuée assure un brassage génétique entre les parents grâce à un processus appelé la méiose. Lors de cette division cellulaire, les chromosomes échangent des segments d’ADN. La recombinaison entre chromosomes parentaux et leur répartition dans les cellules reproductrices a des conséquences à long terme sur l’évolution des génomes. En particulier, la recombinaison permet d’augmenter l’efficacité de la sélection et de faciliter l’adaptation.
Toutefois, les sites où se produisent ces échanges ne sont pas choisis au hasard. Deux grands modèles, ou patrons, de distribution ont été identifiés. Le premier, observé dans de nombreuses espèces (plantes, nombreux métazoaires), repose sur des zones accessibles de la chromatine, qui sont en grande partie les régions régulatrices de l’expression des gènes. Le second est déterminé par une protéine particulière, appelée PRDM9, qui se fixe à l’ADN sur des séquences spécifiques pour y induire la recombinaison.
PRDM9 : un gène au rôle paradoxal
Ce mécanisme dépendant de PRDM9 a été décrit uniquement chez certains mammifères et présente des propriétés paradoxales. Bien qu’il détermine les sites de recombinaison, ces derniers subissent une érosion au fil des générations. Ce phénomène conduit à une course évolutive sans fin connue sous le nom de "modèle de la reine rouge", qui implique la sélection de nouveaux allèles de PRDM9 reconnaissant de nouveaux sites dans le génome, qui sont à leur tour érodés dans un processus récurrent. Ce conflit génétique causé par PRDM9 est d’autant plus surprenant que de nombreuses espèces sont capables de recombiner correctement sans ce gène (premier patron). De plus, l’étude phylogénétique de PRDM9 montre que ce gène a été perdu plusieurs fois de manière indépendante au cours de l’évolution, peut-être en relation avec le phénomène d’érosion des sites. Tout ceci soulève la question de son rôle réel dans le vivant. Il était donc important, dans un premier temps, de déterminer si la fonction de PRDM9 était spécifique aux mammifères.
Une découverte surprenante chez les salmonidés
Afin de répondre à cette question, les scientifiques, dans un article publié dans la revue PLOS Biology, ont analysé la phylogénie de PRDM9 chez les vertébrés et identifié qu’un homologue de ce gène était présent chez les salmonidés, alors qu’il est absent chez des poissons proches. Ils ont développé un ensemble d’approches moléculaires et de génétique des populations qui leur ont permis de constater que PRDM9 y joue bien un rôle dans la détermination des sites de recombinaison. Il présente une forte diversité allélique de son domaine de fixation à l’ADN. De plus, ils ont identifié des marqueurs moléculaires caractéristiques de l’activité de PRDM9, comme des modifications chimiques des histones, des protéines associées à l’ADN. En étudiant différentes espèces et populations de saumons (Atlantique, Pacifique, Baltique), ils ont démontré une divergence des sites de recombinaison entre les populations les plus distantes, ce qui est précisément attendu si PRDM9 est actif. Également en accord avec ce rôle déterminant de PRDM9, les scientifiques ont pu identifier chez le saumon des séquences d’ADN spécifiquement enrichies aux sites de recombinaison et détecter une érosion de ces séquences au cours de l’évolution. Ces observations confirment que le gène PRDM9, loin d’être limité aux mammifères, était déjà actif il y a plusieurs centaines de millions d’années.
Perspectives : remonter aux origines de PRDM9
Ainsi, la fonction de PRDM9 pour la localisation des sites de recombinaison n’est pas spécifique aux mammifères et est au contraire apparue beaucoup plus anciennement qu’anticipé, avec les conflits génétiques associés qui persistent donc sur plusieurs centaines de millions d’années. Il sera important de remonter plus en amont dans l’évolution pour identifier l’émergence de PRDM9 et comprendre la ou les forces sélectives qui contribuent à son maintien.
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Figure : A. Dynamique et évolution des sites de recombinaison. PRDM9, par son domaine à doigt de zinc (carrés colorés), se fixe sur des séquences d’ADN spécifiques (Motif 1). Sur ces sites, il y a un enrichissement en H3K4me3 et H3K36me3 et une activité de recombinaison élevée. L’activité de recombinaison conduit à l’accumulation de mutations sur ces sites, qui ne sont plus reconnus par l’allèle PRDM9 initial (ici PRDM91). De nouveaux allèles de PRDM9 apparaissent (ici PRDM92), qui reconnaissent des motifs différents. Les sites de recombinaison sont alors remplacés par les sites reconnus par ce nouvel allèle.
B. PRDM9 est actif chez les salmonidés et chez certains mammifères. Il est présent mais son activité n’a pas été testée chez d’autres espèces (Gekko par exemple). PRDM9 est absent dans de nombreux autres phyla. Ici, trois événements de pertes durant l’évolution sont indiqués par une étoile.
Référence : PRDM9 drives the location and rapid evolution of recombination hotspots in salmonid fish. Raynaud, M., Sanna, P., Joseph, J., Clément, J., Imai, Y., Lareyre, J. J., Laurent, A., Galtier, N., Baudat, F., Duret, L., Gagnaire, P. A. and de Massy, B.
PLoS Biol, 6 janvier 2025, DOI : https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3002950
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