Pourquoi pensons-nous que ce que nous percevons correspond à la réalité ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Être capable de juger si ce que nous percevons est juste ou non peut nous aider à apprendre de nos erreurs et communiquer avec nos semblables. Dans cette étude, publiée dans Nature Communications, les scientifiques expliquent comment nous construisons un sentiment de confiance sur la véracité de nos perceptions, et à quoi ce sentiment de confiance peut servir. Ces résultats suggèrent que la confiance contrôle la profondeur du traitement des informations sensorielles.

Si ce que nous percevons nous semble au-dessus de tout soupçon, nos sensations sont en fait le résultat d’un processus d'inférence complexe, sujet à toutes sortes d’influences. Les neurosciences décrivent ce processus d'inférence, qui se base sur les informations sensorielles qui frappent nos rétines et nos tympans, fonctionne comme une « accumulation d’indices ». Notre cerveau surveille en continu nos sens pour recueillir des informations jusqu'à ce qu'il ait suffisamment d’indices pour décider de ce qu’il voit ou entend.

Ces décisions dites « perceptives » s'accompagnent d’un sentiment de confiance qui reflète la vraisemblance que ce que nous percevons reflète bien la réalité du monde qui nous entoure. Il a été démontré que les humains sont généralement assez bons pour rapporter leur confiance lorsqu’on leur demande de la juger, avec des confiances faibles rapportées plus fréquemment après des erreurs, et des confiances élevées après des perceptions correctes. Mais les neurosciences n’ont pas encore une image claire de la façon dont les jugements de confiance se construisent, ni de leur lien avec le processus d’accumulation d’indices.

Les chercheurs ont voulu explorer la relation entre la confiance et le processus de prise de décision visuelle. Pour ce faire, ils ont ralenti le processus d'accumulation d’indices visuels en ne montrant qu'un seul indice à la fois, comme un film au ralenti. Les participants doivent attendre la fin de la série d’indices pour prendre une décision en fonction des indices observés, puis évaluer leur confiance quant à la justesse de cette décision.  Ce processus d’accumulation d’indices a été modélisé mathématiquement pour examiner comment chaque indice affecte la prise de décision et la confiance des participants testés.

Les scientifiques ont constaté deux différences importantes entre la prise de décision et la confiance. Tout d'abord, lorsqu'ils ont montré plus d’indices que nécessaire, les participants se sont intérieurement engagés à prendre une décision avant la fin de la série. Dans ce processus appelé « engagement caché »,  les participants mettent intérieurement fin à l'accumulation d’indices de manière précoce, même s'ils doivent attendre la fin de la série avant de faire part de leur décision. Malgré cela, les participants semblent continuer à surveiller les indices supplémentaires pour raffiner leur jugement de confiance. Ainsi, les décisions sont prises à la hâte sur la base des premiers indices présentés, alors même que la confiance tient compte de tous les indices disponibles. Ces résultats suggèrent que la confiance doit être considérée comme un processus mental distinct de l'accumulation d’indices qui détermine ce que nous percevons.

Malgré ces différences, les chercheurs ont également constaté que la confiance et la prise de décision perceptive étaient fortement liées. Ils ont demandé aux mêmes participants de fixer délibérément des limites à l'accumulation d’indices, la série de stimuli se poursuivant jusqu'à ce que les participants appuient sur le bouton de réponse pour rapporter leur décision perceptive. Les participants doivent entrer leur réponse dès qu'ils estiment avoir atteint une performance cible (par exemple, 8 chances sur 10 d’être correct). On observe alors une relation étroite entre la capacité des participants à fixer efficacement des limites sur l’accumulation d’indices et leur capacité à évaluer leur confiance de façon précise. Cette relation est exactement celle à laquelle on s'attendrait si les observateurs fixent leurs limites en fonction de leur sentiment de confiance. Ce résultat expérimental montre que la confiance n’est pas calculée après que la décision est prise mais bien en continu, pendant l'accumulation d’indices, et qu’elle peut même contrôler la profondeur de cette accumulation d’indices.

Ce résultat surprenant indique que la confiance n'est pas un simple processus de surveillance a posteriori, utile pour apprendre de ses erreurs et optimiser des décisions futures. Au contraire, la confiance se forme parallèlement à l'accumulation d’indices perceptifs et peut donc être utilisée pour mettre en place des limites à la prise de décision : contrôler quand prendre une décision. Cela signifie que la confiance pourrait jouer un rôle bien plus important dans notre vie mentale que nous ne le pensions auparavant.

FIGURE
© Tarryn Balsdon

Figure : L'accumulation d’indices pour les décisions perceptives et de confiance. La boîte en pointillés contient les processus de décision internes à l’observateur, qui déterminent la relation entre le stimulus physique et la réponse comportementale. Les informations provenant du stimulus fournissent des indices sensoriels qui sont accumulés en vue de générer une décision perceptive. Les indices accumulés sont aussi utilisés pour la génération d’un sentiment de confiance. Le contrôle de confiance s'exerce sur le processus d'accumulation perceptive, représenté par la flèche rouge. De manière importante, les indices qui créent notre sentiment de confiance peuvent continuer de s'accumuler même après que la décision perceptive ait été prise.

 

 

Pour en savoir plus

Confidence controls perceptual evidence accumulation
Balsdon T, Wyart V, Mamassian P.

Nature Communications 9 avril 2020. doi.org/10.1038/s41467-020-15561-w

Contact

Tarryn Balsdon
Chercheur au Laboratoire des systèmes perceptifs (PSL)
Valentin Wyart
Chercheur Inserm au Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles (LNC2)
Pascal Mamassian
Chercheur CNRS au Laboratoire des systèmes perceptifs (LSP)

Laboratoire

Laboratoire des systèmes perceptifs (LSP) - (CNRS/ ENS Paris)
Ecole Normale Supérieure 29 rue d’Ulm, 75005 Paris