Pourquoi la moelle osseuse stocke le gras même quand l’énergie vient à manquer

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

De façon surprenante, les cellules graisseuses présentes au niveau de la moelle osseuse ne diminuent pas de taille en restriction calorique même prolongée comme dans l’anorexie. Cette observation ancienne restait jusqu’à ce jour inexpliquée. Les chercheurs viennent de décrypter ce mécanisme en montrant que ces adipocytes sont dépourvus d’un des acteurs majeurs responsable de la libération des acides gras et que ces cellules possèdent un métabolisme lipidique centré sur le cholestérol, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour les cellules à proximité comme les cellules sanguines ou les cellules osseuses. Ces résultats sont publiés dans la revue Cell Reports

Les cellules graisseuses (ou adipocytes blancs) ont pour fonction principale de stocker les lipides (acides gras) provenant de l’alimentation et de les libérer lorsque l’organisme a besoin d’énergie (restriction calorique). Cette libération entraine une diminution de leur taille. Chez l’Homme, 10 % de la masse grasse totale est présente au niveau de la moelle osseuse. Contrairement aux autres dépôts adipeux, les adipocytes de la moelle osseuse ou adipocytes médullaires (AM) ne diminuent pas de taille en privation énergétique (restriction calorique) même prolongée comme dans l’anorexie. Cette libération d’acides gras (ou lipolyse) est utilisée par l’organisme pour alimenter les cellules très demandeuses d’énergie comme le foie, les muscles ou le cœur. Pourquoi les AM ne participent-ils pas à cet effort global des tissus adipeux ?

Pour résoudre cette énigme physiologique, les chercheurs ont étudié des AM et des adipocytes sous-cutanés issus de mêmes patients. Première constatation, rien ne distingue ces cellules sur le plan morphologique. Les AM, comme les adipocytes sous-cutanés, sont des cellules rondes contenant une gouttelette lipidique unique qui occupe la majeure partie de la cellule. Pourtant, une analyse exhaustive de leur contenu en protéines montre que ces AM sont des cellules très différentes.  En particulier, ces cellules n’expriment pas une des protéines majeures de la lipolyse (qui est le mécanisme de libération des acides gras), la monacylglycérol lipase (MAGL). Dans les AM, l’induction de la lipolyse, par exemple par l’adrénaline, active les récepteurs et les messagers intra-cellulaires mais l’absence de MAGL se comporte comme un verrou final qui empêche les acides gras d’être libérés. Ces résultats expliquent donc, pour la première fois, pourquoi en condition de demande énergétique, les AM ne fournissent pas d’acides gras à l’organisme et ne diminuent pas de taille.

À quoi peut servir le maintien de ce dépôt adipeux ? La moelle osseuse est le siège de nombreux processus très importants en physiologie humaine comme l’hématopoïèse (la fabrication de cellules sanguines) ou le renouvellement osseux. Protéger ce tissu adipeux lui permettrait d’être utilisé (et préservé) pour les cellules avoisinantes au dépend d’autres cellules de l’organisme. Leur fonction serait donc plus locale que globale et un autre argument soutient cette hypothèse. Dans cette même étude, les chercheurs ont montré que les AM, contrairement aux autres adipocytes, expriment de nombreuses protéines impliquées dans le métabolisme du cholestérol (transport, synthèse et libération). Or, on sait que ce cholestérol pourrait avoir de nombreuses fonctions dans les cellules environnantes comme la constitution de leur membrane, leur développement et l’aide à la signalisation. L’objectif est maintenant de comprendre les signaux qui permettent de libérer ce cholestérol et son utilisation.

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© Camille Attané

Figure : Les adipocytes médullaires n’expriment pas la lipase MAGL, ce qui leur permet de ne pas répondre à la restriction calorique et de se préserver pour les cellules environnantes.
En condition de besoin énergétique, la lipolyse est activée dans les adipocytes blancs ce qui permet la libération d’acides gras et entraine alors une diminution de leur taille. Les adipocytes médullaires sont dépourvus d’activité lipolytique dû à l’absence d’expression de MAGL et ne libèrent donc pas d’acides gras, ce qui permet un maintien de la masse adipeuse médullaire en condition de demande énergétique.

Pour en savoir plus :

Human bone marrow is comprise of adipocytes with specific lipid metabolism
Attané C, Estève D, Chaoui K, Iacovoni JS, Corre J, Moutahir M, Valet P, Schiltz O, Reina N, Muller C

Cell Reports, 28 Janvier 2020  DOI: https://doi.org/10.1016/j.celrep.2019.12.089

Laboratoire :

Institut de Pharmacologie et de Biologie Structurale (CNRS/Université Toulouse III)
205 route de Narbonne 310777

Contact

Catherine Muller
Enseignante-chercheuse UT3