Météo, climat… quels indices d’alerte pour prévenir les maladies transmises par les moustiques

Résultats scientifiques Immunologie, infectiologie

L'analyse, publiée dans Science Advances en septembre dernier, de 200 séries temporelles de dengue et de malaria autour du globe montre un effet systématique des facteurs climatiques globaux (comme El Nino) sur la variabilité interannuelle de ces maladies et des facteurs locaux (température, précipitations, humidité) sur leur saisonnalité. Cette séparation claire des échelles temporelles d'action améliore notre compréhension des effets des facteurs climatiques et indique ceux qu’il faudrait utiliser dans les systèmes d'alerte précoce.

Lors de la dernière crise sanitaire, nous avons pris conscience de l’importance des outils mathématiques pour étudier la propagation d’une maladie dans la population, ainsi que pour prévoir ses conséquences en termes de santé publique. Avec le réchauffement climatique et la survenue plus fréquente d’évènements El Niño, un autre sujet brulant concerne les maladies transmises par les moustiques (dengue, Zika, Chikungunya…). Longtemps cantonnées dans les régions tropicales ou équatoriales, elles commencent à apparaître sous nos latitudes. Par exemple en 2022, Santé Publique France, a recensé près de 70 cas de dengue dits “autochtones”, c’est à dire transmis localement par le moustique Tigre.

Des épidémies qui dépendent fortement des facteurs climatiques

La dynamique de ces maladies transmises par les moustiques résulte de relations complexes entre moustiques, humains, facteurs socio-économiques et facteurs environnementaux. Malgré cette complexité, il existe un consensus sur le fait que ces épidémies dépendent fortement des facteurs climatiques. Les précipitations, l’humidité et la température sont déterminants pour créer des habitats adéquats pour la production, la survie et l’activité des moustiques. En plus de ces variables climatiques locales, des facteurs climatiques globaux, à grande échelle (comme El Niño) influencent aussi fortement la dynamique de ces maladies.

Pour mettre en place des systèmes d'alerte précoce efficaces, il est important de caractériser les dynamiques épidémiques de ces maladies. Pour cela, les scientifiques ont utilisé les données recueillies par les systèmes de santé sous forme d’enregistrement dans le temps des cas recensés et ont identifié leurs composantes : saisonnières (annuelle) ou multi-annuelles. Ils ont ensuite croisé les résultats de ces corrélations avec les composantes des séries météorologiques et/ou climatiques.

Améliorer les systèmes d’alerte précoce avec les variables climatiques locales mais aussi les variables climatiques globales

Dans ce travail publié dans Science Advances, les scientifiques ont revisité l’analyse de ces interactions complexes entre maladies transmises par des moustiques, météorologie et climat. A l’aide de l’analyse en ondelettes (un outil pour caractériser des signaux dont la dynamique change au cours du temps), les scientifiques ont quantifié les liens entre l’émergence des cas épidémiologiques observés et une variable climatique locale en prenant en compte les effets des variables climatiques globales. Parallèlement, ils ont aussi quantifié les liens entre cas observés et une variable climatique globale en prenant en compte les effets des variables climatiques locales. À partir de l’analyse de 200 séries temporelles de ces données épidémiologiques pour les cas de dengue et de malaria, les scientifiques ont montré que le climat local (température, précipitations ou humidité) affecte seulement la composante saisonnière de la dynamique alors que les composantes multi-annuelles sont, elles, associées au climat global (El Niño par exemple). Ces résultats semblent généraux, en effet, ils se vérifient toujours quelques soit la maladie étudiée, quelques soit le continent considéré, quelques soit l’échelle géographique utilisée (ville, provinces, régions, pays) et pour quasiment tous les couples de variables climatiques locale-globale analysés.

Ces résultats montrent que les systèmes d’alerte précoce devraient prendre en compte non seulement les variables climatiques locales mais aussi les variables climatiques globales comme El Niño. Néanmoins, ces facteurs climatiques ne sont pas les seuls à influencer la dynamique de ces épidémies. Les facteurs socio-économiques comme la disponibilité de l’eau courante et l’urbanisation, ainsi que le statut immunitaire de la population jouent un rôle important. Toutes ces informations devront être prises en considération pour l’amélioration des systèmes d’alerte précoce.

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© Mario Chavez et B. Cazelles
Légende : A) l’ensemble des trois variables étudiées : l’incidence des cas de dengue en Thaïlande (transformée en logarithme), des variables climatiques locales (la température), et du climat global (capturé par l’indice SOI). B) Une analyse classique (corrélation en ondelettes) pourrait suggérer une interaction annuelle très forte entre les cas de dengue et la température locale. C) Cette corrélation, corrigée par la variable climatique globale SOI (ou corrélation partielle), permet de mettre en évidence l’effet de cette dernière variable externe. Des mesures normalisées, comme la cohérence ou la cohérence partielle utilisées dans l’article cité, permettent de comparer les résultats sur différents signaux.

En savoir plus 
Bernard Cazelles et al. Disentangling local and global climate drivers in the population dynamics of mosquito-borne infections.Sci. Adv.9,eadf7202(2023).DOI:10.1126/sciadv.adf7202

Contact

Mario Chavez
Directeur de recherche CNRS à l’Institut du Cerveau à Paris, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Bernard Cazelles
Professeur à Sorbonne Université, ancien membre de la Commission Spécialisée “Maladies infectieuses et maladies émergentes” du Haut Conseil de la Santé Publique

Laboratoire

Institut du cerveau et de la moelle épinière - ICM (CNRS/Inerm/Sorbonne Université)
47 boulevard de l'hôpital
75013 Paris