A l’origine de la croissance indéfinie des plantes
Contrairement aux animaux qui acquièrent leur forme pendant le développement de l’embryon, celle de la plupart des plantes est indéfinie car elles produisent de nouveaux organes comme les feuilles pendant toute leur vie. Le mécanisme génétique qui permet cette capacité est identifié mais son origine évolutive est inconnue. Les chercheurs ont montré que chez les mousses, reliques des premières plantes terrestres, ce mécanisme contrôle le développement de la tige alors que sa croissance est limitée. Ces résultats publiés dans la revue Current Biology suggèrent que le mécanisme en question existait avant que les plantes n’acquièrent la capacité à pousser indéfiniment, et permettent de mieux comprendre comment la forme des plantes a changé depuis leur origine il y a plus de 450 millions d’années.
Un des défis majeurs en biologie est de comprendre comment les organismes vivants ont acquis leur apparence au cours de l’évolution. Chez la plupart des plantes, une caractéristique est la capacité à pousser en continu tout au long de la vie. Ce potentiel de "croissance indéfinie" dépend directement de l’activité d’un groupe de cellules situé à la pointe des tiges, le méristème, qui prolifère et fournit en permanence les cellules nécessaires à la croissance de la tige.
Grâce aux fossiles, on sait que la croissance indéfinie n’existait pas chez les premières plantes terrestres. Celles-ci avaient une croissance “définie” et formaient des tiges très petites, sans feuilles et qui ne mesuraient pas plus de quelques centimètres. Ces végétaux anciens ont disparu mais il subsiste sur la planète un groupe de plantes qui possèdent toujours ces caractéristiques ancestrales: les mousses.
Au niveau moléculaire, on sait qu’une famille de protéines appelées KNOX contrôle la prolifération indéfinie des méristèmes. Elles activent la biosynthèse de cytokinines qui sont des molécules régulatrices de la division des cellules. Les protéines KNOX sont essentielles au développement car, lorsqu’elles sont inactivées, le méristème disparait et la croissance des plantes s’arrête. De façon surprenante, la mousse possède des protéines KNOX alors que la croissance de sa tige (le sporophyte) est définie.
Afin de comprendre la fonction ancestrale des protéines KNOX, les chercheurs ont étudié leur rôle dans le développement du sporophyte des mousses. Pour cela, ils ont modifié une protéine appelée MOSS KNOX2 pour la rendre active plus longtemps et plus fortement dans la mousse, ce qui a eu pour effet de prolonger la croissance du sporophyte. Ils ont aussi activé la protéine MOSS KNOX2 dans des tissus dans lesquels elle est normalement absente. Ils ont pu montrer que cette sur-activation était suffisante pour induire la production de cytokinines. Ces expériences ont révélé qu'un rôle fondamental des protéines KNOX est de réguler la production de cytokinines, et ce rôle est conservé quel que soit le mode de croissance (défini ou indéfini) des tiges.
Depuis leur découverte il y a plus d’une centaine d'années, on pensait que les méristèmes qui assurent la croissance indéfinie à la pointe des tiges provenaient d'une cellule unique que l’on trouvait aussi à la pointe des tiges chez les premières plantes terrestres. En démontrant qu’un même module moléculaire KNOX/cytokinine peut agir à la pointe des tiges à croissance indéfinie, mais aussi au milieu du sporophyte de mousse, les chercheurs mettent en évidence que ces deux zones ont une similarité génétique. Ce résultat suggère que les méristèmes que l’on trouve à la pointe des tiges auraient une origine complexe et pourraient être issus d’une zone jusque-là largement ignorée.
Il faut maintenant essayer de comprendre comment l’activité des protéines KNOX pourrait avoir migré depuis le milieu vers la pointe des tiges, et tenter de déterminer si ce changement est suffisant pour donner aux mousses la capacité de croitre sans s’arrêter.
Pour en savoir plus :
A KNOX-Cytokinin Regulatory Module Predates the Origin of Indeterminate Vascular Plants.
Coudert Y, Novák O, Harrison CJ.
Curr Biol. 2019 Jul 26. pii: S0960-9822(19)30843-7. doi: 10.1016/j.cub.2019.06.083. [Epub ahead of print]