Les plasmides interdisent la transformation

Résultats scientifiques Microbiologie

Les bactéries ont la capacité unique de changer les gènes de leur chromosome. Ce pouvoir de transformation génétique semble particulièrement utile, mais alors pourquoi, certaines bactéries semblent l'avoir perdu ? Une étude publiée dans la revue PNAS montre que des éléments génétiques, appelés plasmides, et qui s'immiscent dans les génomes des bactéries leur interdisent alors de se transformer génétiquement. Ils pourraient être si fréquents que certaines espèces de bactéries paraitraient incapables de transformation naturelle.

Les bactéries ont la capacité de changer les gènes de leur chromosome. Elles peuvent en effet capter l’ADN libéré par d’autres bactéries présentes dans leur environnement proche, et l’intégrer à leur chromosome. Ce mécanisme appelé transformation naturelle, découvert chez la bactérie pneumocoque en 1929, participe au phénomène de transfert "horizontal" de gènes entre bactéries. Transmettre des gènes paraît évidemment avantageux, et est souvent présenté comme responsable de la dissémination de la résistance aux antibiotiques, un problème majeur de santé publique. La transformation naturelle, est reconnue chez un nombre croissant de bactéries. La plupart des bactéries possèdent en effet les gènes leur permettant de réaliser cette transformation génétique. Cependant, certaines espèces en apparaissent incapables. De plus, au sein d'une même espèce, certaines bactéries semblent avoir perdu cette capacité. Pourquoi ?

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont exploité une collection d’isolats cliniques de légionelles (Legionella pneumophila), assemblée par le Centre national de référence des légionelles (CNRL) dans le cadre de sa mission de surveillance épidémiologique. Les légionelles peuvent en effet causer la légionellose, une pneumonie sévère dont la fréquence augmente ces dernières années. Le CNRL a ainsi fourni des ressources précieuses pour étudier la conservation de la transformation naturelle.

Les auteurs ont découvert que la capacité de transformation naturelle était variable, et en particulier très différente dans des légionelles parfois très proches. Ils ont alors réalisé une étude d'association à l'échelle du génome (GWAS) pour rechercher les facteurs génétiques responsables. Ce type d'étude GWAS, une des premières au monde sur des organismes bactériens, a ainsi permis d’identifier un élément génétique mobile commun chez les bactéries appelé plasmide. Ces plasmides sont capables de se transférer d’une cellule bactérienne à une autre. Le plasmide identifié utilise alors un ARN non-codant pour "éteindre" les gènes dont sa bactérie hôte a besoin pour réaliser la transformation naturelle. De tels facteurs inhibiteurs sont présents chez d’autres plasmides de Légionelles et qui sont libres dans le cytoplasme ou intégrés au chromosome. Dans certaines espèces de légionelles (Legionella israelensis et Legionella geestiana), ils semblent si fréquents que ces espèces paraissent incapables de transformation naturelle. Ainsi, ces plasmides expliquent pourquoi certaines bactéries semblent avoir perdu la capacité de transformation naturelle. Mais leur présence chez des espèces actuellement considérées comme incapable de transformation naturelle suggérerait aussi justement l’inverse.

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© Xavier Charpentier CC 4.0

Figure : Conservation de la transformation naturelle chez des bactéries légionelles. Chaque cercle (ou secteur) représente un isolat clinique de légionelle, coloré en fonction de sa capacité à réaliser la transformation. Les bactéries en jaune sont incapables de réaliser la transformation alors que celles en bleu de plus en plus foncé montrent des niveaux croissants de transformation. Il apparaît que la moitié des isolats de légionelles sont ainsi incapables de transformation (jaunes). Les isolats cliniques sont reliés en fonction de leur degré de parenté (phylogenetic relationship, cgMLST), et il est à noter que la transformation paraît variable même pour des isolats très proches (par exemple dans le "camembert" central). Environ un tiers des bactéries en jaune sont porteuses du plasmide pLPL et qui est responsable de leur incapacité à transformer.

Pour en savoir plus :

Diverse conjugative elements silence natural transformation in Legionella species.
Durieux I, Ginevra C, Attaiech L, Picq K, Juan PA, Jarraud S, Charpentier X.
Proc Natl Acad Sci U S A. 2019 Sep 10;116(37):18613-18618.
doi: 10.1073/pnas.1909374116.
Epub 2019 Aug 27.

Contact

Xavier Charpentier
Chercheur Inserm au Centre national de recherche en infectiologie (CIRI) - CNRS / Inserm / Université Claude Bernard / ENS Lyon