Les nouvelles technologies pour mesurer les réseaux sociaux des primates
Le plus souvent, les relations sociales entre animaux sont analysées via des observations directes de leurs comportements. Les nouvelles technologies à base de capteurs automatiques, moins coûteuses et de plus en plus utilisées, peuvent-elles remplacer l’observation détaillée ? Une équipe interdisciplinaire a montré que, bien que les capteurs ne capturent pas forcément toutes les interactions dans un groupe d’animaux, ils donnent au final la même vision de la structure sociale du groupe en un temps moindre. De tels capteurs représentent donc une voie prometteuse pour étudier les dynamiques sociales animales. Ces résultats sont présentés dans la revue Proceedings of the Royal Society A
La compréhension des structures sociales et de leur évolution, aussi bien entre humains que dans les sociétés animales non humaines, a des implications importantes dans des domaines allant des sciences sociales à l’épidémiologie en passant par les sciences cognitives. De nombreux efforts sont donc dédiés à l’obtention de données permettant de décrire les relations entre individus, afin d’en obtenir une représentation sous forme de réseaux sociaux, qui peut ensuite être analysée grâce à la panoplie d’outils de la science des réseaux.
L’essor des nouvelles technologies a permis de nombreuses avancées dans l’étude des réseaux sociaux humains dans les dernières décennies. En ce qui concerne les sociétés animales, la situation est plus complexe, et les données sont encore souvent recueillies via l’observation directe des comportements. Bien que détaillées et précieuses, ces données sont coûteuses à obtenir, très incomplètes et potentiellement biaisées, car chaque observateur n’observe qu’un individu (et ses contacts) à la fois, et ce pour une durée limitée (par tranches de 5 minutes par individu par exemple).
Des alternatives développées récemment, permettant de collecter des données de manière automatique et continue sur tout un groupe, par exemple par des GPS ou des capteurs de proximité, semblent donc particulièrement intéressantes. Cependant, elles ne mesurent pas le type d’interactions, ni les interactions avec des individus non équipés de capteurs et, à cause de contraintes comme une résolution temporelle limitée, peuvent par exemple manquer des interactions rapides. Une question cruciale reste donc ouverte : les données récoltées par des techniques aussi diverses donnent-elles in fine une description cohérente et fiable des relations entre individus et de l’évolution du réseau social d’un groupe animal ?
Dans une collaboration interdisciplinaire entre physiciens et spécialistes du comportement animal, les scientifiques ont apporté une réponse à cette question en étudiant les relations d’un groupe de primates simultanément par deux techniques : (i) des observations directes, où chaque individu est observé tour à tour pendant cinq minutes, ses comportements et ses interactions notés ; (ii) des capteurs (développés dans le cadre de la collaboration SocioPatterns) initialement dédiés au recueil des données mesurant les contacts face-à-face entre humains et adaptés ici pour les primates.
Les chercheurs ont ensuite analysé et comparé les données obtenues en utilisant des méthodes de physique statistique et de théorie des réseaux. Ils ont ainsi observé que les interactions consignées par un observateur ne sont pas toutes enregistrées par les capteurs, car certains comportements sociaux sont très rapides ou correspondent à des positions relatives moins facilement détectées (par exemple, présentation de l’arrière-train). Inversement, les capteurs enregistrent beaucoup plus de contacts, car ils fournissent des données en permanence sur tous les individus et non seulement sur ceux observés. Malgré ces différences au niveau des données détaillées, les chercheurs ont montré que les réseaux déduits des deux types de données, une fois agrégés sur une durée de quelques semaines, étaient extrêmement similaires : même statistiques, mêmes liens importants et sous-structures dans les deux cas. Les deux méthodes donnent donc au final la même vision du réseau social à l’intérieur du groupe. De plus, les données issues des capteurs permettent d’obtenir cette vision avec simplement une journée de données, tandis qu’il faut une dizaine de jours pour obtenir le même résultat dans le cas d’observations directes. De plus, les observations ne peuvent souvent être maintenues sur plus d’un mois pour des raisons de ressources limitées, tandis que les capteurs peuvent fonctionner sans supervision humaine jusqu’à six mois.
Ces résultats montrent donc le grand intérêt de méthodes basées sur des capteurs automatiques, qui permettent de suivre les dynamiques des structures sociales aussi bien sur des temps courts, en détectant rapidement des changements de structure, que sur les temps longs souvent inaccessibles par d’autres techniques.
Pour en savoir plus :
Measuring social networks in primates: wearable sensors vs. direct observations
Gelardi V, Godard J, Paleressompoulle D, Claidière N, Barrat A
Proceedings of the royal society A 8 avril 2020. https://doi.org/10.1098/rspa.2019.0737
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