Les neurones noradrénergiques du locus coeruleus mesurent l’effort en temps réel
Quels sont les mécanismes biologiques de l’effort? Dans cette étude publiée dans la revue Plos Biology, les scientifiques ont mesuré l’activité des neurones noradrénergiques du locus coeruleus chez des macaques entrainés à réaliser des tâches d’effort cognitif et/ ou physique. Quelque soit le type d’effort, ces neurones traduisent en temps réel l’effort que produisent les singes. La découverte de neurones impliqués dans la production d’effort permettra de mieux comprendre comment notre cerveau gère l’effort.
La gestion du compromis entre l’effort et la récompense est centrale dans la régulation des comportements, mais on connait encore assez peu les mécanismes neurophysiologiques qui entrent en jeu. Alors que la gestion de la récompense dépend principalement de la dopamine, des études récentes suggèrent que la gestion de l’effort impliquerait la noradrénaline, qui est contrôlée par un petit noyau du tronc cérébral, le locus coeruleus (LC). Mais la façon dont le LC participe à la gestion de l'effort reste assez mal comprise, notamment parce que sa petite taille le rend difficile à étudier en imagerie.
Les scientifiques ont donc mesuré directement l’activité des neurones du LC chez des macaques rhésus. Ils ont dressé les singes à réaliser plusieurs tâches comportementales qui manipulent l’effort. Les singes sont assis face à un écran d’ordinateur et on les entraine à réaliser une action simple (relâcher une barre ou serrer une poignée) en réponse à un signal impératif (point vert sur l’écran). Ils obtiennent une récompense (jus de fruit) à chaque bonne réponse, mais la quantité de récompense varie selon les essais. Par ailleurs, on introduit également un coût (délai ou force à exercer) qui dévalue la récompense. A chaque essai, on sélectionne aléatoirement un niveau de récompense et un niveau de coût, et on indique ces niveaux au singe grâce à des indices visuels. Bien entendu, son niveau de motivation pour réaliser l’action varie en fonction des coûts et les bénéfices attendus mais ses options sont limitées: si il ne réalise pas l’action demandée, on répète la même condition jusqu’à ce qu’il accepte, ou qu’il abandonne la tâche. A chaque essai, il doit donc surmonter une envie d’abandonner qui est d’autant plus grande que la valeur de l’option est faible. Cette envie d’abandonner se traduit par un taux de refus qui, bien que relativement faible, diminue avec la valeur de l’option. Dans les essais que le singe accepte de réaliser, le niveau d’effort cognitif fournit pour déclencher l’action est donc d’autant plus élevé que la valeur de l’option est basse.
Pour caractériser les processus d’effort et s’affranchir des facteurs confondants, les chercheurs ont utilisé 3 tâches complémentaires : une tâche de dévaluation par le délai qui n’implique que l’effort cognitif, une tâche de dévaluation par la force qui implique à la fois un effort cognitif et un effort physique, et enfin une tâche de détection de cible qui sert de témoin. En effet, cette tâche met en jeu des processus sensori-moteurs similaires aux deux autres, mais elle n’implique aucun effort.
En mesurant l’activité des neurones du LC lorsque les singes réalisent ces tâches, les chercheurs montrent qu’ils sont activés précisément au moment où les animaux produisent un effort: dans les deux tâches de dévaluation (délai et force), les neurones du LC sont activés quand les singes décident de déclencher l’action, avec un niveau d’activation qui reflète directement le temps de réponse écoulé, et donc le niveau d’effort cognitif fourni pour la décision (Figure A). Dans la tâche de force, les neurones du LC sont également activés au moment où les singes appuient sur la poignée, avec un niveau d’activation proportionnel à la force exercée et donc au niveau d’effort physique fourni. De plus, l’effort cognitif (décision) n’a lieu que quelques centaines de millisecondes avant l’effort physique (serrer la poignée) et pourtant les neurones du LC reflètent clairement et distinctement ces deux efforts successifs (Figure B). Seule cette approche neurophysiologique pouvait permettre de détecter la formidable précision temporelle avec laquelle les neurones du LC reflètent l’effort produit. Enfin, dans la tâche de détection de cible où les conditions diffèrent sur le plan sensori-moteur, mais pas en terme d’effort, le niveau d’activation des neurones du LC est équivalent à travers les conditions. Ainsi, l’activité des neurones du LC traduit en temps réel la production d’effort, avec une précision de quelques centaines de millisecondes, aussi bien pour des effort cognitifs (prendre une décision difficile) ou pour des efforts physiques (serrer une poignée).
Le système noradrénergique jouerait donc un rôle central dans le circuit de l’effort, à l’instar du rôle que joue la dopamine dans le fameux circuit de la récompense. Sur le plan clinique, la noradrénaline pourrait donc constituer une cible privilégié dans certaines pathologies impliquant l’effort (Parkinson, mais également dépression ou schizophrénie). Sur le plan fondamental, mieux comprendre ce qu’est le système d’effort implique d’identifier la nature des interactions entre le LC et les autres structures cérébrales. Par analogie avec le système noradrénergique périphérique qui permet de mobiliser les ressources physiologiques en cas d’urgence, le LC et le système noradrénergique central pourrait permette de mobiliser des ressources comportementales et cognitives, en influençants les structures cérébrales qu’il innerve.
Pour en savoir plus :
Locus coeruleus neurons encode the subjective difficulty of triggering and executing actions
Bornert P, Bouret S..
PLoS Biology 7 décembre 2021 : DOI: 10.1371/journal.pbio.3001487
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