Les découvertes biomédicales rapportées par la presse sont-elles fiables ?

Résultats scientifiques

La recherche scientifique est un processus cumulatif évoluant d'une première étude incertaine vers un consensus stable au fur et à mesure des études sur une même question. Malheureusement, la presse couvre préférentiellement les études initiales et n'informe quasiment jamais le public lorsque elles sont invalidées, ce qui est pourtant le cas le plus fréquent. C'est ce que montrent Estelle Dumas-Mallet au Centre Emile Durkheim et ses collaborateurs à l'Institut des maladies neurodégénératives, en analysant la couverture médiatique de 4723 études associant un facteur de risque avec une pathologie. Cette étude est parue le 21 février 2017 dans la revue Plos One.

La « crise de la reproductibilité » de la recherche biomédicale préoccupe la communauté scientifique depuis le début des années 1990. En particulier, les résultats d’études initiales, que ce soit dans le cadre d’études pré-cliniques, d’essais cliniques ou d’études d’association sont souvent invalidés par les études ultérieures (Dumas-Mallet et al. PLoS ONE, 2016, 6: e0158064). Ceci n'est pas choquant du point de vue de la connaissance scientifique, mais pose problème concernant la médiatisation des recherches.

 

Les chercheurs ont analysé la couverture médiatique de 4723 études d’association entre différents facteurs de risque (génétiques, environnementaux, épidémiologiques) pour trois domaines de la recherche biomédicale, la psychiatrie (Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, autisme, schizophrénie et dépression), la neurologie (maladies d’Alzheimer et de Parkinson, épilepsie et sclérose en plaque) et 4 maladies somatiques (cancer du sein, glaucome, psoriasis et polyarthrite rhumatoïde). Ces études ont été classifiées en 2 catégories : les études concernant l’influence du "mode de vie", sur lequel un sujet peut agir (comme par exemple fumer) et les autres études. Ces publications scientifiques avaient été préalablement sélectionnées en compilant les résultats de 306 méta-analyses. La reproductibilité de chaque étude a donc pu être évaluée en comparant leur résultat avec celui de la méta-analyse correspondante. La base de données Dow Jones Factiva a été utilisée pour déterminer quelles études scientifiques avaient été couvertes par la presse anglo-saxonne.

 

Les chercheurs ont identifié 156 études (3,3%) relayées par 1475 articles de presse. Cette analyse montre que la probabilité pour une étude d’être couverte par la presse augmente largement avec le facteur d’impact, autrement dit le prestige du journal scientifique dans lequel l’étude est publiée. La presse couvre de manière égale les études initiales ou ultérieures sur "le mode de vie". Par contre, pour les autres études, les journalistes couvrent plus fréquemment les études initiales (13,1%) que les études ultérieures (1,2%). Les journaux ne couvrent jamais les études initiales rapportant un résultat nul et rarement les études ultérieures négatives.  Parmi les 156 études couvertes, seulement 48,7% ont été validées par les méta-analyses correspondantes. En particulier, le taux de validation des études initiales ne se rapportant pas au "mode de vie" est bien inférieur (33,3%) à celui des études subséquentes (64%) ou des études sur le "mode de vie" (49%). Finalement, alors que 234 articles de presse avaient été consacrés à la couverture de 35 études initiales qui ont été par la suite invalidées, seulement 4 articles de presse se sont fait l’écho d’une étude ultérieure négative et ont mentionné la réfutation de l’étude initiale.

 

Cette étude montre que: 1) les journalistes couvrent préférentiellement les études initiales bien qu’elles soient souvent invalidées par les méta-analyses et 2) ils n’informent que rarement le public de ces réfutations. Il semblerait donc que les journalistes n’ont pas conscience ou choisissent d’ignorer l’incertitude inhérente aux résultats initiaux. Les chercheurs ont sans doute une part de responsabilité: lors de leurs échanges avec les journalistes pensent-ils bien à préciser le caractère incertain d'une étude initiale?

 

Image retirée.
Figure 1: Exemple d'une étude initiale invalidée par les études ultérieures. Il s'agit du taux de transporteur de la dopamine chez les patients souffrant du trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité. La presse grand public n'a couvert que l'étude initiale et n'a jamais informé le public de son invalidation. La méta-analyse prend en compte l'ensemble des données publiées.

© François Gonon

 

 

En savoir plus

Contact

Estelle Dumas-Mallet