L'épigénétique au secours de la maladie d’Alzheimer ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

La maladie d’Alzheimer désorganise les réseaux neuronaux construits durant notre vie. Ces réseaux participent à la formation et la conservation des informations dans notre mémoire. Des chercheurs du Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Adaptatives de Strasbourg, en collaboration avec des collègues français et indiens, viennent de caractériser des altérations épigénétiques associées aux lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer. A l’aide d’une molécule modifiant l’épigénome, ils ont montré qu’il était possible, dans un modèle murin de la maladie, de restaurer la mémoire et la plasticité en ciblant ces altérations. Cette étude a été publiée dans EMBO Molecular Medicine.

 « Tu te souviens ? J’habitais là quand j’étais étudiante, tu m’avais aidé à emménager au 5ième étage sans ascenseur. » « Non, je ne me souviens pas : je ne devais pas te connaître à l’époque ! » « Mais papa… !? ». Au début de la maladie d’Alzheimer, ce sont les mécanismes qui permettent le stockage de nouvelles informations qui sont affectés. Mais petit à petit le rappel de souvenirs plus anciens se fait plus difficile et, finalement, on ne se souvient plus du tout. Que se passe-t-il dans nos neurones lorsque les souvenirs s’effacent ? Quelles sont les bases moléculaires de ce démantèlement des synapses ? Peut-on empêcher ou retarder ces processus ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont étudié ces régulations au niveau génétique et épigénétique, dans l’hippocampe de souris modèle de la maladie d’Alzheimer (MA).

L'ADN qui contient les gènes est condensé autour de protéines (histones) formant la chromatine, une structure qui permet l'organisation du matériel génétique dans le noyau des cellules. Cette structure peut être modifiées par des modifications épigénétiques apportées sur les histones comme, par exemple, leur acétylation. De la structure de la chromatine dépend l’expression de profils génétiques. Ainsi, lorsqu’un neurone est stimulé au cours d’un apprentissage, les programmes génétiques changent selon le contexte épigénétique dans lequel ils se trouvent.

Les chercheurs ont utilisé des souris présentant des dégénérescences neurofibrillaires (lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer) à un stade où les animaux présentent des déficits de mémoire à long terme, une baisse d’activité neuronale (dépression à long terme) et une perte de la capacité à former des épines dendritiques (excroissances des neurones impliquées dans la mémoire). Lors d'une tâche d’apprentissage, ils ont montré, dans une structure cruciale pour la mémoire, l'hippocampe, une altération importante des programmes génétiques. De surcroît, lorsque l’acétylation de l’histone H2B a été étudiée, ils ont mis en évidence une forte diminution de cette modification épigénétique sur de nombreux gènes, suggérant un rôle instrumental de ces modifications sur la mémoire des souris présentant les lésions de la maladie.

Les chercheurs ont donc tenté de contrecarrer ce problème d’acétylation de H2B grâce à une molécule (CSP-TTK21) qui active les acétyltransférases CBP/p300, des enzymes qui semblent plus spécifiquement associées à cette modification dans l’hippocampe. La molécule a été développée en collaboration avec un laboratoire indien (Tapas K Kundu, JNCASR, Bangalore). Une étude préclinique réalisée sur les souris « Alzheimer » démontre qu’au niveau moléculaire, les acétylations de H2B sont augmentées par la molécule avec pour conséquence une amélioration de la mémoire à long terme et une baisse des altérations au niveau des synapses.

En conclusion, les chercheurs ont démontré que la dégradation de la plasticité neuronale synaptique et de la mémoire au sein du cerveau présentant des lésions de la maladie d’Alzheimer était associée à une altération épigénétique, l’acétylation (Ac) anormale de H2B. Ils apportent une preuve de concept quant à la possibilité de cibler les acétyltransférases de type CBP/p300 pour améliorer les fonctions cognitives, une stratégie thérapeutique non explorée auparavant.

 

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Figure : La molécule CSP-TTK21, en activant l’enzyme CBP/p300 dans le cerveau, permet de rétablir des modifications épigénétiques (comme acétylation de H2B) perdues au cours de la maladie d’Alzheimer dans l’hippocampe et de restaurer la plasticité neuronale, ainsi que les capacités de mémoire spatiale.

© Anne-Laurence Boutillier, Jean-Christophe Cassel

 

En savoir plus :

Reinstating plasticity and memory in a tauopathy mouse model with an acetyltransferase activator.
Chatterjee S, Cassel R, Schneider-Anthony A, Merienne K, Cosquer B, Tzeplaeff L, Halder Sinha S, Kumar M, Chaturbedy P, Eswaramoorthy M, Le Gras S, Keime C, Bousiges O, Dutar P, Petsophonsakul P, Rampon C, Cassel JC, Buée L, Blum D, Kundu TK, Boutillier AL.
EMBO Mol Med. 2018 Oct 1. pii: e8587. doi: 10.15252/emmm.201708587. [Epub ahead of print]

Contact

Anne-Laurence Boutillier
Chercheuse CNRS au Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives - LNCA (CNRS/Université de Strasbourg)