Le stress modèle nos comportements en remodelant la chromatine

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’un des mécanismes par lesquels le stress agit sur l’utilisation des gènes pour modifier les comportements vient d’être mis à jour chez la souris. Dans une étude publiée dans la revue Nature Communications, les scientifiques ont déterminé le rôle de deux protéines qui modifient l’accessibilité des gènes au sein des noyaux et contrôlent ainsi leur utilisation. Dans les neurones du noyau accumbens, une structure cérébrale importante pour la motivation, ces protéines sont indispensables pour que s’établisse durablement une aversion sociale suite à des agressions répétées. Cette aversion sociale est considérée comme un marqueur de la dépression. Si ces protéines sont absentes, les animaux sont résilients et n’évitent plus leurs congénères.

Le stress déclenche une libération rapide et pour quelques heures d’hormones glucocorticoïdes, la corticostérone chez les rongeurs (ou le cortisol chez l’homme). Une fois activé, le récepteur de cette hormone modifie l’expression de nombreux gènes, ce qui permet d’orchestrer les réponses nécessaires à l’organisme pour faire face au stress, entre autres les réponses comportementales. L’exposition au stress modifie à long-terme les comportements des vertébrés. Souvent mal considérée, cette réponse est aussi bénéfique en permettant d’ajuster le comportement d’un individu à son environnement. Dans un milieu hostile, éviter des congénères agressifs a des avantages. Trop fréquente ou excessive, la réponse au stress facilite l’apparition de troubles psychiatriques, comme l’addiction, la dépression ou des troubles du comportement social.

Les chercheurs avaient déjà montré chez la souris que l’apparition d’une aversion sociale après des agressions répétées implique le récepteur des glucocorticoïdes de neurones présents dans le noyau accumbens et sensibles à la dopamine (un neurotransmetteur central dans le contrôle de l’humeur et les processus de plaisir et de récompense). Le récepteur des glucocorticoïdes contrôle l’expression de gènes cibles de maintes façons. L’une d’elle est le recrutement des complexes dénommés "SWI/SNF" impliqués, au sein des noyaux des cellules, dans la réorganisation de la chromatine et de ses nucléosomes (constitués d’ADN enroulé autour de protéines basiques, les histones). Ce mécanisme épigénétique pourrait modifier l’accessibilité des gènes et stabiliser leur expression permettant de transformer la répétition d’informations brèves, comme la libération d’hormones glucocorticoïdes durant quelques heures, en une modification durable.

Les complexes SWI/SNF sont constitués d’une douzaine de protéines distinctes dont une protéine « motrice » qui fournit l’énergie nécessaire pour déplacer les nucléosomes. Selon le complexe, celle-ci est codée par le gène brahma (brm) ou le gène brahma-related-gene-1 (brg1), dont il existe des homologues chez l’homme. Pour comprendre s’ils étaient impliqués dans les réponses au stress, les chercheurs ont établi des lignées de souris dans lesquelles les gènes brg1, brm ou les deux, étaient absents des neurones sensibles à la dopamine et ont étudié chez elles les comportements liés au stress.

Les scientifiques ont montré que les souris dépourvues de BRM, ou de BRG1, contrairement à des souris contrôles, ne développaient plus d’aversion sociale suite à des défaites répétées. Elles étaient donc plus « résilientes », c’est-à-dire plus résistantes au stress, que les souris « sauvages ». Elles présentent également d’autres modification des comportements liés au stress, comme une diminution de l’addiction à la cocaïne Au niveau cellulaire, une "défaite sociale" provoque une réorganisation de la distribution du récepteur des glucocorticoïdes et de BRG1 dans le noyau des cellules et une activation des neurones. En absence de BRG1, l’organisation de la chromatine est modifiée et l’activation neuronale bloquée.

Cette étude montre le rôle du contrôle de la chromatine dans la modification des comportements induite par des traumatismes répétés. Plus généralement, elle éclaire les mécanismes moléculaires et cellulaire impliqués dans l’adaptation à long-terme du comportement à l’environnement des individus et dans l’apparition de dépressions. Cette connaissance pourrait fournir de nouvelles pistes thérapeutiques pour traiter les psychopathologies liées au stress.

figure
© A. Zayed
Figure : Le récepteur de l’hormone de stress (marqué en rouge) et la protéine BRG1, membre du complexe SWI/SNF qui remodèle la chromatine, (marquée en vert) sont distribués dans de nombreux foyers au sein des noyaux de neurones (en haut à gauche). La sociabilité d’une souris est mesurée par le temps qu’elle passe à interagir avec une souris inconnue (en bas à gauche). Une souris contrôle qui n’a pas subi de défaites sociales passe plus de temps à proximité d’une boîte contenant une souris inconnue qu’à proximité de la même boîte lorsqu’elle est vide. Le temps passé dans chaque endroit de l’arène est représenté par un code couleur allant du bleu, représentant peu de temps, au rouge, représentant un temps long. Une souris contrôle qui a subi des défaites sociales répétées développe une aversion sociale et passe peu de temps à proximité d’une souris inconnue. Cette aversion sociale ne se développe en revanche pas chez une souris dépourvue de BRG1 dans les neurones du noyau accumbens.

Pour en savoir plus :  
SWI/SNF chromatin remodeler complex within the reward pathway is required for behavioral adaptations to stress.
Abdallah Zayed, Camille Baranowski, Anne-Claire Compagnion, Cécile Vernochet, Samah Karaki, Romain Durand-de Cuttoli, Estefani Saint-Jour, Soumee Bhattacharya, Fabio Marti, Peter Vanhoutte, Moshe Yaniv, Philippe Faure, Jacques Barik, Laurence Amar, François Tronche and Sébastien Parnaudeau
Nature Communications - 4 avril 2022.
https://doi.org/10.1038/s41467-022-29380-8

Contact

François Tronche
Chercheur CNRS

laboratoire

Neurosciences Paris Seine – IBPS (CNRS/Inserm/Sorbonne Université)
7 quai Saint Bernard
75005-Paris