L’apparition du cou a permis aux vertébrés de conquérir la terre ferme

Résultats scientifiques Développement, évolution

Un événement majeur de l’évolution des vertébrés a été le passage de la vie aquatique a terrestre, permis par l’apparition de nouvelles structures telles que les pattes et le cou. Dans un article publié dans Nature Communications, des biologistes ont étudié l’origine embryonnaire des muscles cervicaux et ont démontré que des groupes musculaires reliant la tête au reste du corps chez les poissons ont été réutilisé pour former le cou en acquérant de nouvelles fonctions adaptées à la vie sur terre.

L’évolution du cou chez les vertébrés : une innovation clé pour la conquête du milieu terrestre.

Les vertébrés (animaux à vertèbres) constituent un large groupe d’animaux incluant les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Une étape remarquable de leur évolution a été le passage de la vie aquatique à terrestre, il y a quelques 350 millions d’années. Cette évolution majeure a été permise par l’émergence d’innovations anatomiques, telles que les pattes et la région cervicale, spécifiques des tétrapodes (vertébrés à 4 membres). Le cou, absent chez les poissons, permet la mobilité de la tête indépendamment du corps sur la terre ferme et contient des structures essentielles à la respiration aérienne, la prise alimentaire ou la vocalisation. 

L'acquisition d'un cou fonctionnel au cours de l’évolution a nécessité de profonds réarrangements développementaux du système musculo-squelettique dès le stade embryonnaire. 

Chez les vertébrés, il est décrit que les muscles de la tête et du tronc ont des origines embryonnaires et génétiques distinctes. Le mésoderme est un des trois feuillets qui se forme au cours du développement embryonnaire. Les muscles de la tête sont issus du mésoderme cardiopharyngé qui se forme dans la région antérieure de l’embryon, alors que les muscles du tronc se forme à partir du mésoderme somitique.  Le cou constitue une zone de transition à l'interface tête/tronc d'origine embryonnaire mixte avec des muscles issus du mésoderme cardiopharyngé et du mésoderme somitique. 

Bien que l’origine embryonnaire de ses structures musculaires fût bien déterminée, l’origine évolutive du cou restait à élucider. 

Origine embryonnaire et évolutive du cou : entre mésoderme cardiopharyngé et somitique.

Dans cette étude, publié dans la revue Nature Communications, les scientifiques ont comparé l’origine mésodermique des groupes musculaires reliant la tête et le tronc chez l’embryon de poisson zèbre et de la souris. En utilisant des approches de traçage génétique, ils ont pu démontrer que ces groupes musculaires avaient des origines mésodermiques conservées et qu’ils étaient homologues entre poissons et tétrapodes. 

Les scientifiques ont ensuite évalué les contributions relatives des deux populations mésodermiques à l’émergence et à l’adaptation du cou. Pour ce faire, ils ont comparé par scanners aux rayons X (tomographie) à haute résolution l’anatomie musculosquelettique de plusieurs espèces stratégiques actuelles incluant des poissons pulmonés (polyptère, dipneuste), des salamandres (axolotl, triton) et le lézard. Pour chacune de ces espèces, ils ont segmenté manuellement et reconstruit en trois dimensions les structures squelettiques et les groupes musculaires reliant la tête au tronc, issus du mésoderme somitique ou cardiopharyngé d’après les données collectées dans l’embryon. 

Cette étude fournit des informations sur les mécanismes développementaux qui auraient été à l’origine de l'évolution du cou chez les vertébrés. L’analyse révèle que la région cervicale a évolué à partir de groupes musculaires déjà présents chez les poissons. Les résultats indiquent que les expansions opposées du mésoderme somitique et cardiopharyngé, respectivement dans les domaines de la tête et du tronc au cours du développement embryonnaire, ont participé à l'émergence et à l'adaptation du cou des tétrapodes. L’étude propose que des groupes musculaires chez les poissons ancestraux ont été réutilisé (coopté) et modifié pour acquérir de nouvelles fonctions de respiration, de prise alimentaire et de vocalisation adaptées à la vie aérienne. L’apparition d’un cou fonctionnel aurait facilité l’adaptation des premiers tétrapodes au milieu terrestre, assurant ainsi leur succès évolutif.

© Eglantine Heude

Figure : Vue latérale et dorsale de rendus tridimensionnels à partir de scanners aux rayons X à haute résolution du poisson zèbre, du polyptère, du dipneuste, de l’axolotl, du triton et du lézard. Les reconstructions montrent le squelette antérieur des spécimens ainsi que les groupes musculaires reliant la tête au reste du corps qui ont pour origine embryonnaire soit le mésoderme somitique (bleu foncé, bleu clair), soit le mésoderme cardiopharyngé (rouge, violet).

En savoir plus : Heude, E., Dutel, H., Sanchez-Garrido, F. et al. Co-option of neck muscles supported the vertebrate water-to-land transition. Nat Commun 15, 10564 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-54724-x

Contact

Eglantine Heude
Chargée de recherche CNRS

Laboratoire

Institut de génomique fonctionnelle de Lyon – IGFL (CNRS/ENS de Lyon)
32-34 Avenue Tony Garnier 
69007 Lyon