La réponse du cerveau aux changements de l'environnement sensoriel

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Comment adaptons-nous notre comportement quand le monde autour de nous change ? En utilisant des expériences comportementales modifiant de façon fine la volatilité de l’environnement visuel, les scientifiques montrent dans un article publié dans PLoS Computational Biology que notre cerveau répond aux changements de l'environnement sensoriel de la même façon qu’un modèle mathématique. Ces résultats indiquent que notre comportement s’adapte en combinant de façon optimale les informations explorées récemment et celles exploitées dans le passé.

La situation sanitaire actuelle montre  à quel point notre environnement peut brutalement basculer d'un état à un autre, illustrant tragiquement la volatilité à laquelle nous pouvons être confrontés. Pour comprendre cette notion de volatilité, prenons le cas d'un médecin qui, parmi les patients qu'il reçoit, diagnostique d'habitude un cas de grippe sur dix. Soudain, il reçoit 5 patients sur 10 qui sont testés positivement. S'agit-il d'une coïncidence malheureuse ou peut-on maintenant être sûr qu'il y ait un basculement vers un épisode de grippe ? Les événements actuels prouvent qu’il est difficile de prendre une décision rationnelle en période d'incertitude, notamment savoir quand réagir.

Cependant, des solutions mathématiques existent qui suggèrent que notre comportement peut s’adapter en combinant de façon optimale les informations explorées récemment et celles exploitées dans le passé. Dans cet article, les chercheurs montrent que le cerveau répond aux changements de l'environnement sensoriel de la même façon que ce modèle mathématique. Pour cela, ils ont  manipulé au cours du temps le biais de probabilité de la direction du mouvement d'une cible visuelle sur un écran. En introduisant des bascules dans les biais de probabilités, cette expérience manipule la volatilité de l'environnement de façon contrôlée. Les résultats théoriques et expérimentaux prouvent que dans cette situation réaliste où le contexte change à des moments aléatoires tout au long de l'expérience, le système nerveux peut s'adapter à la volatilité de façon adaptative, au fil des essais. Les expériences montrent en particulier que les humains s'adaptent à la volatilité au niveau sensorimoteur précoce, par leurs mouvements oculaires d'anticipation, mais aussi à un niveau cognitif plus élevé, par une évaluation explicite de la direction au prochain essai.

Ces expériences suggèrent que les humains (et de futurs systèmes artificiels) peuvent utiliser des stratégies d'adaptation beaucoup plus riches qu'on ne le supposait auparavant. Elles permettent de mieux comprendre comment les humains s'adaptent à des environnements changeants pour porter des jugements ou planifier des réponses basées sur des informations variables dans le temps.

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© 2020 Pasturel et al.

Figure: La génération du mouvement d'une cible visuelle sur un écran  est ici contrôlé par un biais de probabilité de la direction. Ce biais évolue lui-même au cours de l’expérience par des sauts abrupts.  Ces bascules font changer de façon aléatoire le biais parmi les différents degrés de probabilité (par exemple de fortement plus probable à gauche à modérément probable à droite). À chaque essai, le biais permet alors de générer une réalisation, soit un mouvement à gauche (G) ou bien à droite (D). La cible se déplace dans des blocs de 50 essais (1 à 50) et ces réalisations sont les seules à être observées, l'évolution du biais et en particulier des bascules restant cachée à l'observateur. Par rapport à la moyenne flottante qui est classiquement utilisée, on peut démontrer l'existence d'un modèle mathématique comme une moyenne prédictive qui permet de mieux suivre la dynamique du biais de probabilité. Grâce à ces expériences psychophysiques, on peut mettre en évidence que les observateurs suivent préférentiellement la moyenne prédictive, plutôt que la moyenne flottante, aussi bien dans des jugements explicites (pari prédictif) que, de façon plus surprenante, dans les mouvements d'anticipation des yeux qui sont effectués sans que les observateurs en ait conscience.

 

Pour en savoir plus:

Humans adapt their anticipatory eye movements to the volatility of visual motion properties.
Pasturel C, Montagnini A, Perrinet LU.

PLoS Comput Biol. 2020 Apr 13;16(4):e1007438. doi: 10.1371/journal.pcbi.1007438. eCollection 2020 Apr.

Contact

Laurent Perrinet
Chercheur CNRS à l'Institut de neurosciences de la Timone (INT)

Laboratoire

Institut de Neurosciences de la Timone (INT) - (CNRS/Univ Aix Marseille)
27, Bd Jean Moulin, Marseille Cedex 05