La mécanique des tissus biologiques révèle comment le collectif peut prendre le pas sur l’individuel

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Beaucoup de tissus biologiques sont composés de cellules épithéliales qui fonctionnent collectivement. Ces cellules adhèrent à la matrice extracellulaire et à leurs voisines en transmettant des forces mécaniques. Cette mécanique de l’adhésion joue un rôle particulièrement important dans la morphogénèse, la progression tumorale ou encore la cicatrisation. Les monocouches de cellules épithéliales présentent des propriétés d’alignement analogues à celles des cristaux liquides. En utilisant cette analogie, les chercheurs ont montré que l’organisation des monocouches épithéliaux résultait du couplage entre les forces exercées au niveau de la matrice extracellulaire et sur les cellules voisines. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Materials.

De nombreux processus biologiques dépendent de l’activité collective des cellules, de la façon dont elles interagissent les unes avec les autres. Des changements dans la façon dont les cellules adhèrent entre elles et à la matrice sont impliqués dans des mécanismes développementaux essentiels comme la formation et le modelage des tissus, mais aussi dans des mécanismes pathologiques comme la progression tumorale. Ces interactions transmettent des forces mécaniques développées par les cellules. Il en résulte que la nature des forces mises en jeu est importante pour caractériser l’organisation, le type et le devenir des tissus biologiques.

Au sein des tissus, les cellules individuelles ont bien souvent des formes plutôt allongées et s’alignent localement à la manière d’une classe de matériaux inertes bien connue : les cristaux liquides nématiques (l'état nématique est intermédiaire entre phase solide, liquide et cristalline). Les monocouches cellulaires peuvent donc être décrites comme des matériaux nématiques, mais actifs, dans lesquels les moteurs moléculaires assurent le mouvement cellulaire. Pour des cellules individuelles isolées, les forces exercées sur la matrice se présentent généralement comme des forces opposées qui tirent vers l’intérieur de la cellule le long de son grand axe. Pourtant, au niveau collectif dans des épithéliums, le comportement nématique du système est modifié, et cette organisation disparaît pour laisser place à des forces de poussée le long du grand axe.

Dans le cadre d'une collaboration internationale avec le Mechanobiology Institute » (Singapore), l’Université d’Oxford (UK) et le Niels Bohr Institute (Danemark), les chercheurs ont étudié l’impact de l’adhésion cellulaire sur la dynamique de ces systèmes nématiques actifs et notamment sur les singularités d’alignement qui en résultent, appelées défauts topologiques.  Cette étude pour comprendre ces changements entre l’individuel et le collectif montre que le changement du comportement nématique est la signature de la compétition entre les forces générées au niveau de la matrice et celles générées aux contacts intercellulaires. Une perte d’adhésion entre cellules induit, par exemple, un renforcement mécanique au niveau de la matrice qui modifie le comportement collectif des cellules. Dans les années 1960, M. Steinberg proposait que le mouvement des cellules au sein d’un tissu et leur ségrégation était liée à la minimisation de la tension interfaciale, un mécanisme bien connu dans les bulles. Ces nouveaux travaux proposent une hypothèse alternative et montrent que la séparation de populations cellulaires peut s’expliquer par l’émergence de comportements nématiques différents modulés par les propriétés d’adhésion.

Ce travail pluridisciplinaire à l’interface entre la biophysique et la biologie cellulaire propose un nouveau cadre pour comprendre l’auto-organisation des tissus basée sur l’analogie avec des cristaux liquides actifs nématiques et la nature des forces internes.

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©Lakshmi Balasubramaniam & Benoit Ladoux

Figure : Régulation des interactions mécaniques au sein de monocouches cellulaires
a: Distribution des forces au sein d’une cellule isolée ; b: Répartition des forces et nature de l’état de tension résultant des cellules en interaction ; c: Auto-organisation et Ségrégation cellulaire au sein de mélanges de cellules présentant des adhésions intercellulaires différentes (faibles en rouge et fortes en vert). Barre d’échelle = 20 um.

 

Pour en savoir plus :

Investigating the nature of active forces in tissues reveals how contractile cells can form extensile monolayers
Lakshmi Balasubramaniam L, Amin Doostmohammadi A, Thuan Beng Saw T, Gautham Hari Narayana Sankara Narayana, Romain Mueller, Tien Dang, Minnah Thomas, Shafali Gupta, Surabhi Sonam, Alpha S. Yap, Yusuke Toyama, René-Marc Mège, Julia M.Yeomans, Benoit Ladoux

Nature Materials  18 février 2021,
https://doi.org/10.1038/s41563-021-00919-2

Contact

Benoit Ladoux
Chercheur CNRS à l'Institut Jacques Monod-IJM (CNRS/Université de Paris)

Laboratoire

Institut Jacques Monod (IJM) - (Université de Paris/CNRS)
Batiment Buffon, 15 rue Hélène Brion
75205 Paris cedex 13
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