Exposition aux phtalates et démence : existe-t-il un lien ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Dans la pathogenèse des maladies neurodégénératives, l’intervention de facteurs environnementaux est de plus en plus envisagée. Ces travaux, parus dans la revue Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry, mettent en évidence des taux élevés d’un phtalate (DEHP) dans le liquide céphalo-rachidien des patients atteints de maladie à Corps de Lewy (MCL), seconde cause de démence neurodégénérative. Ces résultats interrogent sur le rôle éventuel dans la pathogénèse de la MCL de ce plastifiant omniprésent.

Les facteurs génétiques ne permettent pas d’expliquer à eux seuls le développement des maladies neurodégénératives. L’implication des pesticides est maintenant clairement démontrée dans le développement de la maladie de Parkinson. La maladie à Corps de Lewy (MCL), seconde cause de démence neurodégénérative après la maladie d’Alzheimer (MA), est une affection dont les mécanismes sont très proches de ceux de la maladie de Parkinson. Des scientifiques et cliniciens de l’Université de Strasbourg, du CNRS et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont donc cherché à mettre en évidence la présence de micropolluants dans le système nerveux central de patients atteints de MCL.

Le liquide céphalo-rachidien (LCR), liquide baignant le système nerveux central, a été prélevé par ponction lombaire chez les patients atteints de MCL et de MA dans le cadre d’une étude clinique permettant de caractériser le plus précisément possible leur pathologie. Les petites molécules (appelées métabolites ou métabolome), présentes dans le liquide céphalo-rachidien, ont été analysées par chromatographie couplée à la spectrométrie de masse, technique d’analyse permettant la détection et la quantification des micropolluants.

Cette étude dite de métabolomique (analyse systématique du métabolome ou petites molécules) n’a pas permis de mettre en évidence des taux anormaux de pesticides dans le LCR des patients atteints de MCL. En revanche, un plastifiant, le phtalate de bis(2-éthylhexyle) ou DEHP, a été détecté à des concentrations significativement plus élevées dans le LCR des patients atteints de MCL.

Le DEHP, comme d’autres phtalates, est une molécule omniprésente dans notre environnement. Utilisé notamment comme plastifiant, il est retrouvé dans les matériaux de construction et d’ameublement, de nombreux produits ménagers, les emballages de produits alimentaires et de boissons, les produits cosmétiques, les jouets, le matériel médical, etc. Ce micropolluant était déjà connu pour ses effets toxiques sur les systèmes endocrinien et reproducteur (perturbateur endocrinien). Des effets nocifs sur le système nerveux central ont été soupçonnés, en particulier au cours du développement neuropsychologique des enfants (troubles neurocognitifs et autistiques). Chez l’animal, le DEHP entraîne des troubles neuropsychiatriques. D’autre part, le DEHP est connu pour provoquer une perturbation de la régulation du système nerveux autonome, ce qui est également une particularité de la MCL.

La maladie à corps de Lewy se caractérise par l'accumulation de dépôts anormaux d’une protéine appelée alpha-synucléine ; ces dépôts, appelés des « corps de Lewy », se forment à l'intérieur des neurones. Depuis de nombreuses années, les scientifiques sont à la recherche d’un microorganisme, d’une toxine ou d’un micropolluant susceptible d’induire ou de favoriser l’agrégation de cette protéine. Une telle substance pourrait pénétrer dans l’organisme par inhalation, voie digestive ou voie transcutanée. Depuis ces portes d’entrée, l’hypothèse d’une propagation à partir d’une lésion initiale, sous la forme de l’agrégation de cette protéine (alpha-synucléine anormale), qui se disséminerait de proche en proche pour atteindre le système nerveux central, de manière similaire à la propagation des prions, a été largement débattue. De nombreuses publications ont montré que le DEHP entre dans l’organisme par toutes ces voies d’absorption. Il reste à montrer que le DEHP est capable d’induire une lésion initiale sous la forme de l’agrégation d’alpha-synucléine.

Cette étude ouvre la voie à des recherches sur des substances toxiques apparues après 1920, comme le DEHP, qui pouraient favoriser le développement de la MCL, une maladie décrite tardivement dans les années 1960 et 1970. Ce résultat est d'autant plus intéressant que le DEHP est très largement utilisé et que la MCL est très fréquente puisqu'il s'agit de la seconde cause de pathologie neurodégénérative cognitive.

figure
© Dimitri Heintz

Figure : Distribution de DEHP dans le liquide céphalo-rachidien de patients atteints de la maladie d'Alzheimer (MA) ou de maladie à Corps de Lewy (MCL). A : cohorte démence + troubles cognitifs légers (TCL), B : cohorte démence. * p < 0,05  *** p < 0,01.

 

Pour en savoir plus :

Environmental exposure to phthalates and dementia with Lewy bodies: contribution of metabolomics
Agin A, Blanc F, Bousiges O, Villette C, Philippi N, Demuynck C, Martin-Hunyadi C, Cretin B,  Lang S, Zumsteg J,  Jacques Namer I, Heintz D

Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry : 07 July 2020. doi: 10.1136/jnnp-2020-322815

Contact

Dimitri Heintz
Chercheur CNRS à l'Institut de Biologie Moléculaire des Plantes (IBMP)
Arnaud Agin
Enseignant - chercheur au laboratoire ICube
Frédéric Blanc
PU-PH au laboratoire Icube, et au Centre mémoire de ressources et de recherche

Laboratoires

Institut de Biologie Moléculaire des Plantes (IBMP) - (CNRS)
12, rue du Général Zimmer
67082 Strasbourg 

Laboratoire ICube - (CNRS/ Université de Strasbourg)
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Faculté de Médecine
4, rue Kirchleger
67085 Strasbourg Cedex

Centre mémoire de Ressources et de Recherche (CM2R)
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg