Évolution et régénération : le rôle clé des ROS
Afin de décrire les mécanismes moléculaires à l’œuvre durant la régénération chez les métazoaires, des scientifiques ont étudié l’histoire évolutive des ROS (espèces réactives de l’oxygène), ainsi que leur rôle chez deux modèles de recherche non conventionnels complémentaires, l’annélide Platynereis et l’anémone de mer Nematostella. Les résultats, publiés dans Molecular Biology and Evolution montrent que les ROS sont nécessaires à la régénération, mais sont régulés et agissent via des mécanismes moléculaires et cellulaires différents.
Les ROS, une constante dans la régénération des métazoaires
La régénération, ou capacité à reformer une partie du corps perdue suite à une blessure ou une amputation, est un phénomène répandu chez les métazoaires. Toutefois les capacités régénératives varient selon les espèces, de quelques types cellulaires à l’intégralité du corps à partir d’un fragment. Bien que des étapes stéréotypiques (cicatrisation, mobilisation de précurseurs, morphogénèse) soient retrouvées chez toutes les espèces étudiées, on ignore encore largement si la régénération repose sur des mécanismes moléculaires et cellulaires conservés chez les métazoaires, ou si plusieurs aspects du processus régénératif ont évolué indépendamment selon les lignées. Cependant, durant la dernière décennie, des études ont mis en évidence chez divers modèles une production précoce d’espèces réactives de l’oxygène (ou ROS) après amputation. Chez certaines espèces, il a été montré que les ROS induisent des évènements de mort cellulaire par apoptose, l’apoptose étant elle-même à l’origine d’une vague de prolifération cellulaire nécessaire au succès de la régénération.
Une étude comparative chez deux modèles clés
Cette étude avait donc pour objectif de déterminer si la production de ROS est une composante systématique de l’initiation de la régénération des métazoaires et si son rôle repose sur des mécanismes conservés. Dans cette optique, les scientifiques ont étudié deux modèles de régénération émergents présentant des capacités de régénération étendues et une position phylogénétique clé au sein des métazoaires : l’annélide Platynereis dumerilii (vers marin capable de régénérer diverses structures dont sa partie postérieure complexe) et le cnidaire Nematostella vectensis (anémone de mer capable de régénérer son corps entier).
Dans un premier temps, une large étude de génomique comparative sur un vaste panel d’espèces métazoaires a été menée, afin de déterminer l’histoire évolutive des gènes du métabolisme des ROS. Cette analyse montre que la majorité des métazoaires possède une combinaison de gènes permettant la production et la détoxification des ROS ainsi que la régulation de la réponse antioxydante. Cependant, la composition précise de l’arsenal redox peut varier de manière drastique d’une espèce à une autre, suggérant que des contraintes évolutives ont eu lieu sur les modules fonctionnels du métabolisme des ROS, plutôt que sur leurs acteurs précis.
Des mécanismes spécifiques mais une fonction universelle
Les scientifiques ont ensuite mis en évidence une expression spatio-temporelle dynamique de certains gènes impliqués dans le métabolisme des ROS au cours de la régénération postérieure de Platynereis et orale de Nematostella, ainsi qu’une production précoce de ROS, induite par l’amputation. Des analyses fonctionnelles ont pu révéler que si l’inhibition de la production de ROS bloque le processus de régénération à des stades précoces chez les deux modèles, elle a des effets cellulaires distincts. En effet, les ROS sont requis pour l’induction de la prolifération cellulaire mais pas pour celle de l’apoptose chez Platynereis, tandis que leur inhibition réduit l’apoptose et impacte la répartition tissulaire des cellules en prolifération chez Nematostella.
En conclusion, bien qu’elle repose sur des dynamiques transcriptionnelles et enzymatiques différentes et agisse de façon plastique via des mécanismes moléculaires et cellulaires différents selon les espèces, la production de ROS semble être un élément robuste et nécessaire au cours du processus régénératif chez les métazoaires. Cette production repose sur des modules fonctionnels du métabolisme redox, sélectionnés positivement au cours de l’évolution.
Figure : Bien que leurs acteurs varient, les modules du métabolisme des ROS sont conservés chez les métazoaires et participent à l’initiation de la régénération via des mécanismes cellulaires divers
En savoir plus : Aurore Vullien, Aldine R Amiel, Loeiza Baduel, Dilara Diken, Cécile Renaud, Gabriel Krasovec, Michel Vervoort, Eric Röttinger, Eve Gazave, The Rich Evolutionary History of the Reactive Oxygen Species Metabolic Arsenal Shapes Its Mechanistic Plasticity at the Onset of Metazoan Regeneration, Molecular Biology and Evolution, Volume 42, Issue 1, January 2025, msae254, https://doi.org/10.1093/molbev/msae254
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