Encore un petit effort? Noradrénaline!

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’équilibre entre coûts et bénéfices énergétiques est central pour le comportement animal, mais le substrat neurobiologique de l’effort reste moins bien compris que celui de la récompense. Avec une approche comportementale, pharmacologique et computationnelle chez le macaque, cet article, paru dans la revue PLOS Biology, montre le rôle crucial et spécifique du système noradrénergique dans la gestion de l’effort. Ces résultats sont pertinents pour les neurosciences comportementales et la clinique (apathie).

Le maintien de la balance énergétique est une notion centrale pour le comportement animal. Ainsi,  la sélection des actions doit tenir compte à la fois des bénéfices attendus (la récompense) mais également de leurs coûts potentiels (l’effort). Les processus neurobiologiques qui sous-tendent l’influence de la récompense sur le comportement ont été largement étudiés, et il est bien établi que la vigueur des comportements (fréquence, vitesse, intensité) augmente avec le niveau de récompense attendue, selon une processus appelé « motivation incitative » qui dépend étroitement des neurones dopaminergiques. Mais qu’en est-il de l’effort? Existe-t-il un système  cérébral propre à l’effort, capable d’ajuster le comportement directement en fonction des dépenses énergétiques potentielles? Cette question a été assez peu étudiée et les réponses restent débattues. Des travaux préliminaires suggèrent que la gestion de l’effort pourrait impliquer le système noradrénergique, puisque l’activité des neurones noradrénergiques est plus étroitement corrélée à l’effort que celle des neurones dopaminergiques. Mais au moins deux questions demeurent: - Cette relation entre noradrénaline et effort est-elle spécifique? - Est-elle suffisamment forte pour impliquer une causalité?

Les scientifiques ont donc entrepris d’étudier plus avant la relation entre la noradrénaline et la gestion de l’effort. Ils ont pour cela entrainé des singes rhesus (Macacca Mulatta) à une tâche comportementale impliquant des choix entre 2 actions, caractérisées par un compromis entre l’effort et la récompense. Au cours de cette tâche, les animaux doivent exercer une force (serrer une poignée) pour obtenir une récompense (jus de fruit). A chaque essai, on présente à l’animal 2 options, chacune caractérisée par un certain niveau de force à exercer sur la pince et par un certain niveau de récompense. Les chercheurs peuvent ainsi évaluer la sensibilité des singes à l’effort et à la récompense en mesurant leurs choix et la force exercée sur les pinces. Lors de chaque session, les animaux sont confortablement installés face à un écran dordinateur et leur cage est équipée de 2 poignées (une de chaque côté, droite et gauche). A chaque nouvel essai de la tâche, on fait apparaitre sur l’écran 2 images, de part et dautre de l’écran, pour indiquer au singe le coût (niveau de force à exercer) et le bénéfice (quantité de récompense) associé à chacune des 2 options correspondantes (droite et gauche). Le singe a alors quelques secondes pour choisir entre ces 2 options, en fonction des coûts et bénéfices affichés. Quand il a fait son choix, il doit réaliser laction correspondante pour obtenir la récompense associée à ce côté. Si par exemple on lui propose une grande récompense et un petit effort à gauche vs une petite récompense et un gros effort à droite, il choisira vraisemblablement loption de gauche. Il devra alors serrer légèrement la pince de gauche pour obtenir une grande récompense. A travers les essais, le coût et le bénéfice associés à chaque option (chaque côté) sont variés aléatoirement et indépendamment, ce qui nous permet d’évaluer la sensibilité des animaux à leffort (à quel point ils choisissent le côté où le niveau de force à exercer est le plus bas) et à la récompense (à quel point ils choisissent le côté où la quantité de jus est la plus grande). Par ailleurs, même pour un niveau de difficulté donné, le niveau de force exercé par les animaux varie à travers les essais. Les chercheurs peuvent donc évaluer leffort ressenti par les singe à travers 2 mesures: 1) les choix (combien l’effort envisagée paraît-il couteux, et donc à éviter) et 2) l’exécution de l’action (quel niveau de force les singes sont ils capables d’exercer). Une fois entrainés, les animaux réalisent plus de cent essais par jour, avec une sensibilité comparable pour l’effort et la récompense.

Les scientifiques ont ensuite comparé le comportement des animaux entre 2 conditions expérimentales: Dans l’une, les animaux reçoivent une injection « témoin » de sérum physiologique, dans l’autre, les singes reçoivent une faible dose de clonidine, une drogue qui abaisse les niveau de noradrénaline dans le cerveau. A cette dose de clonidine, l’abaissement des niveaux de noradrénaline n’affecte ni la vigilance des singes ni leurs capacités motrices. En revanche, comparativement à la condition témoin, les choix des animaux sous clonidine sont plus orientés vers les petites forces, et la force qu’ils investissent dans l’action est moins importante. De plus, les effets de la drogue sur les choix et sur la force exercée sont corrélés (à travers les sessions de test) ce qui renforce l’idée que la noradrénaline contrôle bien un processus central (l’effort), qui influence à la fois les choix et la performance. Surtout, les effets de la clonidine sont spécifiques à l’effort puisque la sensibilité des animaux à la récompense est identique entre les 2 conditions expérimentales.

Grâce un modèle mathématique qui permet de capturer les effets complexes des différents processus motivationnels en jeu dans cette tâche, les chercheurs confirment que la noradrénaline joue un rôle central et spécifique dans la gestion de l’effort, défini ici comme un processus de gestion du comportement en fonction des dépenses énergétiques. Ce système serait donc parfaitement complémentaire du système dopaminergique, connu pour réguler le comportement en fonction des bénéfices.

Au-delà de leur implication pour la compréhension du comportement et de ses bases cérébrales, ces résultats pourraient avoir un intérêt en clinique, notamment pour le diagnostic et la prise en charge de l’apathie (l’abaissement pathologique de la motivation). L’apathie apparait dans de nombreuses pathologies psychiatriques (dépression) ou neurologique (Parkinson). Elle pourrait être liée aussi bien à un déficit dans la gestion de la récompense qu’à un déficit dans la gestion de l’effort (voire les deux). En montrant une dissociation fonctionnelle entre les systèmes cérébraux impliqués dans l’effort et la récompense, ces travaux laissent envisager la possibilité d’identifier plus précisément les causes de l’apathie chez chaque patient et ainsi, potentiellement, de traiter les symptômes avec un traitement ciblé.

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© Sébastien Bouret

Figure: Effet de la clonidine sur le choix des singes
Choix des animaux sur la dimension récompense (en haut) et effort (en bas), pour chacun des singes (respectivement A, B et E, de gauche à droite.
Pour la récompense, le pourcentage de choix de l’option la plus récompensée  augmente avec le différentiel de récompense (en valeur absolue), et la pente de cette relation indique la sensibilité de l’animal à la récompense: plus la pente est forte, mieux il sera capable de comparer les2 niveau de récompense proposées à chaque essai et de choisir la meilleure option possible, sur cette dimension. Pour les 3 animaux, la pente est quasi-identique entre la condition témoin (gris) et la condition clonidine (rouge), ce qui indique que la clonidine ne modifie pas la sensibilité à la récompense.
Pour l’effort, le pourcentage de choix de l’option la plus couteuse diminue avec le différentiel entre les forcers proposées. La pente est donc négative puisque les animaux tendent à éviter les gros efforts. Pour chacun des 3 animaux, la pente augmente sous clonidine (rouge) par rapport à la condition témoin (gris). Cette augmentation de la sensibilité à l’effort traduit une diminution de la capacité des animaux à mobiliser les ressources pour faire face à la difficulté (ici exercer une force physique).

 

Pour en savoir plus:

Pharmacological evidence for the implication of noradrenaline in effort.
Borderies N, Bornert P, Gilardeau S, Bouret S.

PLoS Biol. 2020 Oct 12;18(10):e3000793. doi: 10.1371/journal.pbio.3000793

Contact

Sebastien Bouret
Chercheur CNRS à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) - (CNRS/Inserm/Sorbonne Université)

Laboratoire

Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) - (Inserm/ CNRS/Sorbonne Université)
Hôpital Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris