Diversité et conservatisme des embryons d'ascidies
Lorsque les génomes évoluent rapidement, quels sont les impacts sur la formation des embryons? Une étude comparative chez les ascidies publiée dans la revue eLife décrit les différents changements qui apparaissent dans l'expression et la régulation des gènes du développement. Ainsi, des espèces ayant divergé depuis 400 millions d'années forment pourtant leurs embryons de manière extrêmement similaire.
Les dernières décennies ont montré que l'ensemble des animaux utilisent les mêmes types de gènes pour se construire au cours de l'embryogenèse. Cette "boîte à outils géniques" de régulateurs du développement permet aux cellules de communiquer entre elles et de réguler l'expression du génome, et donc de permettre un développement harmonieux de l'organisme ainsi que de contrôler l'acquisition de destins cellulaires spécifiques (peau, neurone, intestin…). L'action de ces gènes est coordonnée au sein de réseaux d'interactions et des approches comparatives ont montré la similarité de ces réseaux pour construire des structures homologues chez des espèces variées. Au cours de l'évolution, des modifications dans ces réseaux ont permis l'apparition d'innovations et la diversification morphologique des espèces. A contrario, il a été montré que le développement est un processus flexible et que des espèces apparentées peuvent réguler la formation de structures homologues en utilisant des mécanismes différents. Ce phénomène, appelé dérive développementale, a été documenté chez différents groupes animaux (insectes, nématodes, chordés…).
Les ascidies sont des invertébrés marins utilisés comme modèles en écologie, biologie cellulaire, biologie du développement et évolution. Ce sont aussi les invertébrés les plus proches phylogénétiquement des vertébrés. Ils partagent avec ces derniers la présence d'une notochorde et d'un système nerveux dorsal au cours de la vie embryonnaire, caractères qui unifient le groupe des chordés (vertébrés, ascidies et céphalochordés). Les ascidies ont une histoire évolutive particulière et sont divergents au sein des chordés du point de vue embryonnaire (développement rapide et stéréotypé avec peu de cellules) et génomique (diminution de la taille du génome et remaniements massifs). Les ascidies se sont diversifiées (environ 3000 espèces); mais, malgré des génomes très différents, leur embryogenèse est virtuellement identique morphologiquement. Cette situation paradoxale, chez des animaux pour lesquels de nombreuses approches expérimentales sont possibles, fait des embryons d'ascidies un modèle intéressant d'étude de la dérive développementale.
Les scientifiques ont entrepris l'analyse comparative d'un petit réseau génique régulant la formation de neurones sensoriels. Les espèces étudiées, qui ont divergé depuis 250 à 400 millions d'années, ont été collectées à proximité de la station marine de Banyuls-sur-mer et au Japon. En étudiant à la fois l'expression des gènes du développement et leur régulation transcriptionnelle, les chercheurs ont caractérisé la dérive développementale. Elle est plus marquée pour les mécanismes régulateurs de la transcription que pour l'expression des gènes et elle varie non seulement avec le temps de divergence mais aussi de manière discrète avec les niveaux taxonomiques et de manière non-homogène dans un réseau. Enfin malgré cette dérive, il est clair qu'il existe une forte conservation des mécanismes du développement après 400 Ma d'évolution séparée.
Pour en savoir plus:
Conservation of peripheral nervous system formation mechanisms in divergent ascidian embryos.
Coulcher JF, Roure A, Chowdhury R, Robert M, Lescat L, Bouin A, Carvajal Cadavid J, Nishida H, Darras S.
Elife, 16 Nov 2020. doi: 10.7554/eLife.59157.
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