Des défauts topologiques à l’origine de la complexité des nids de termites Apicotermes
Les nids de termites du genre Apicotermes possèdent l’une des architectures plus complexes parmi toutes celles que construisent les insectes sociaux. Pour comprendre les mécanismes impliqués dans la construction de ces structures, les scientifiques ont combiné des techniques d’imagerie 3D et de modélisation mathématique. Ces travaux publiés dans la revue PNAS, montrent que l’architecture de ces nids résulte d’interactions comportementales et physiques simples entre les termites et les structures qu’ils construisent et que les rampes linéaires et hélicoïdales reliant les différents étages d’un nid résultent de défauts topologiques (ou dislocations) qui émergent au cours de la construction et du remodelage du nid.
Les termites du genre Apicotermes ont développé l’art de la construction des nids à un niveau inégalé dans le règne animal. Ces sociétés de termites vivent exclusivement en Afrique dans la forêt et la savane et construisent leurs nids sous terre entre vingt et soixante centimètres de profondeur. De forme ovoïde et pouvant atteindre une hauteur de quelques dizaines de centimètres, la surface des nids est couverte de petits orifices en forme de gargouilles disposées en lignes très régulièrement espacées et qui parcourent toute la circonférence externe de la paroi. L’intérieur est constitué d’une succession de vastes chambres superposées les unes aux autres et qui sont délimitées par des planchers parallèles et régulièrement espacés ; par ailleurs des rampes linéaires et hélicoïdales assurent la communication entre les différents étages du nid.
Comment des insectes au comportement rudimentaire parviennent-ils à construire de tels chefs-d’œuvre d’architecture? Et quels sont les processus intervenant dans leur morphogenèse ? Pour répondre à ces questions les chercheurs, dans le cadre d'une collaboration avec le département de physique de l’Université d’Harvard (USA) ont tout d’abord caractérisé et quantifié la structure tridimensionnelle des nids réalisées par ces termites au moyen de techniques d’imagerie 3D (tomographie aux rayons X). Ils ont ensuite construit un modèle mathématique simple reposant sur des observations expérimentales et décrivant les interactions physiques et biologiques entre les termites, une phéromone de construction sécrétée par ces derniers qui guide leur comportement bâtisseur et enfin la terre utilisée pour construire le nid.
Ces travaux montrent que les processus de morphogenèse des nids d’Apicotermes résultent d’une boucle de rétroaction complexe dans laquelle l'architecture du nid dicte à chaque instant les espaces accessibles aux termites, la densité de termites dans les différentes zones du nid détermine à son tour la concentration de phéromone de construction qui y est présente, et cette dernière sert enfin de gabarit pour le remodelage de l'architecture du nid par les termites. Les simulations numériques du modèle reproduisent fidèlement la structure des nids d’Apicotermes avec des planchers régulièrement espacés qui sont reliés en certains endroits par des rampes linéaires et hélicoïdales. L’analyse du modèle montre également que ces rampes résultent de la création de défauts topologiques ou dislocations. Au cours du remodelage du nid, il arrive en effet que des planchers contigus ne soient plus alignés. Lorsque cela se produit, le désalignement des planchers crée soit des « dislocations coin » au niveau desquelles apparaissent des rampes linéaires reliant les étages adjacents ou des « dislocations vis » (un désalignement des planchers autour d'un plan de glissement) qui fournissent l'axe de rotation autour duquel apparaissent des rampes hélicoïdales.
Ainsi, la complexité des nids construits par les termites résulte d’un décalage spatial et temporel dans la croissance des différents éléments qui les composent. Ces résultats illustrent également une des principales propriétés des processus d'auto-organisation chez les insectes sociaux qui est de permettre l'émergence de propriétés nouvelles à l'échelle collective à partir de comportements individuels et d’interactions physiques et biologiques extrêmement simples.
Pour en savoir plus
Self-organized biotectonics of termite nests
Heyde A., Guo L., Jost C., Theraulaz G. & Mahadevan L
Proceedings of The National Academy of Sciences USA 19 janvier 2021. https://doi.org/10.1073/pnas.2006985118
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Laboratoire
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