Des apparences trompeuses – le rôle ambigu d’un microARN dans la tumorigenèse
Les microARN (« miARN »), qui répriment des gènes spécifiques, pourraient être des suppresseurs de tumeur. Ce rôle semble bien établi pour le miARN miR-34a par la biologie moléculaire — mais il est contredit par des données in vivo chez la Souris et l'Homme. Un article publié dans Nucleic Acids Research interroge ce paradoxe : il montre que miR-34a n'est en réalité pas un suppresseur de tumeur, le problème d'assignation tenait à des biais d'analyse. L'article réconcilie donc biologie moléculaire et physiologie, et fournit un cadre théorique et une méthode généralisables aux autres fonctions des miARN.
Les microARN (« miARN ») répriment un grand nombre de gènes-cibles, et à ce titre, ils peuvent participer aux voies de signalisation, notamment en contexte pathologique. C'est ainsi que certains miARN sont considérés comme des suppresseurs de tumeur. Le plus étudié d'entre eux (miR-34a) attire l'attention des oncologistes moléculaires depuis 2007, et de très nombreuses études ont effectivement conclu qu'il réprimait la prolifération cellulaire, et que la mutation de son gène était un moteur probable de la tumorigenèse.
Pourtant, certaines données in vivo semblent contredire cet apparent consensus : chez la Souris, la mutation du gène de miR-34a ne conduit à aucun défaut visible en matière de tumorigenèse ; chez l'Homme, l'administration de miR-34a synthétique à des patients atteints de tumeurs solides n'améliore pas leur état.
Les scientifiques ont donc décidé d'interroger cet apparent paradoxe. Leurs résultats montrent que miR-34a n'est pas un suppresseur de tumeur, en accord avec les études in vivo. La source de ce problème d'assignation tient à des erreurs d'analyse en biologie moléculaire et génétique humaine, clairement mises en évidence ici :
- On avait longtemps cru que des mutations de miR-34a étaient enrichies dans les cancers, mais les mutations de miR-34a occasionnellement observées dans des tumeurs sont indépendantes de l'activité de miR-34a lui-même, puisque les mutations restreintes au gène miR-34a sont très rares dans les cellules tumorales. Il donc est probable que ces mutations occasionnelles soient dues à la proximité génomique du gène de miR-34a avec un authentique suppresseur de tumeur, dont la délétion affecte parfois miR-34a de manière fortuite.
- Le rôle apparent de miR-34a dans le contrôle de la prolifération est dû à un artefact de sur-expression du miARN dans des systèmes expérimentaux simplifiés : les méthodes couramment employées pour mesurer l’activité prolifératrice du miARN impliquaient des sur-expressions de plusieurs centaines à milliers de fois, alors que des doses plus proches du niveau d’expression endogène du miARN ne déclenchent pas de défaut net de prolifération.
Outre leur intérêt en oncologie moléculaire, ces travaux illustrent un défaut fréquent dans l'analyse fonctionnelle des miARN, et fournissent un cadre théorique clair et une méthode facilement généralisable, pour résoudre les fréquents désaccords observés entre les analyses moléculaires et les caractérisations phénotypiques in vivo.
Pour en savoir plus :
A rationalized definition of general tumor suppressor microRNAs excludes miR-34a.
Mockly S., Houbron É., Seitz H.
Nucleic Acids Research. 26 avril 2022 doi: 10.1093/nar/gkac277
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