Défauts d’expression des gènes dans les cancers : la méthylation de l’ADN n’est que la pointe de l’iceberg
Les cellules cancéreuses se caractérisent par l’expression anarchique d’une partie de leurs gènes. La méthylation de l’ADN dans leurs régions régulatrices est souvent considérée comme l’une des causes majeures de ces défauts. A contrepied de ce postulat, cette étude publiée dans Genome Research, relativise l’importance de la méthylation sur l’expression anarchique observée dans les gliomes, la forme la plus répandue de tumeurs cérébrales. C’est l’altération d’une autre marque épigénétique, H3K27me3, qui émerge ici comme étant le défaut majeur des gènes dérégulés.
Le méthylation de l’ADN est le mécanisme épigénétique le plus étudié par les biologistes. Cette modification chimique joue en effet un rôle essentiel dans plusieurs processus développementaux clés chez les mammifères, son intégrité est de fait nécessaire au développement normal. Dans les régions régulatrices en amont des gènes (promoteurs), le gain de méthylation est réputé éteindre leur expression (transcription).
L’altération généralisée du profil de méthylation de l’ADN est une caractéristique largement documentée des cellules cancéreuses. En particulier, de nombreux gènes présentent un gain aberrant de méthylation sur leur séquence promotrice, ces régions. Ce défaut est souvent considéré comme l’une des causes principales de la répression aberrante de nombreux gènes dans les cancers. Ce postulat n’a pour autant jamais été vérifié de façon systématique. Plus généralement, un rôle primaire des défauts de méthylation sur l’ensemble des altérations transcriptionnelles, et par extension sur la biologie du cancer, reste à établir.
Sur ce constat, les chercheurs ont utilisé le gliome, la forme la plus répandue des tumeurs cérébrales, pour établir la contribution exacte des défauts de méthylation aux altérations transcriptionnelles dans les cellules cancéreuses. Ce projet s’est appuyé sur des études moléculaires intégratives menées sur 70 échantillons de gliomes qui ont permis de suivre le destin de près de 15 000 gènes.
Les données obtenues relativisent l’importance des défauts de méthylation sur les altérations transcriptionnelles dans les gliomes. En effet, le gain de méthylation se produit principalement sur des gènes qui sont déjà réprimés dans le cerveau sain. A l'inverse, parmi les gènes effectivement réprimés dans les gliomes comparés aux cerveaux sains, près de 75 % le sont indépendamment d’un défaut de méthylation.
C’est l’altération d’une autre marque épigénétique, H3K27me3 (méthylation de la lysine27 de l'histone H3), qui émerge ici comme étant le défaut majeur des gènes dérégulés. Cette modification chimique, à la différence de la méthylation ne cible pas l’ADN mais les protéines (histones) qui forment le nucléosome, structure autour de laquelle s’enroule l’ADN pour former la chromatine.
Les résultats obtenus indiquent que la présence de H3K27me3 sur les promoteurs de gènes dans les cellules souches embryonnaires humaines, qui vont donner naissance à l’ensemble des cellules de l’organisme, prédispose ces gènes à être dérégulés dans les cellules cancéreuses. De plus, le niveau d’expression des gènes dans le cerveau sain va influencer le mécanisme par lequel ils seront éventuellement réprimés dans le gliome. Les gènes fortement exprimés sont en effet largement plus susceptibles d’être réprimés par H3K27me3 que par la méthylation de leurs promoteurs.
Dans son ensemble cette étude revisite le lien entre altérations épigénétiques et défauts d’expression dans les cancers et met en évidence qu’une altération dans le contrôle de la marque H3K27me3 est la principale cause des défaut d’expression géniques.
Pour en savoir plus
Transcriptional alterations in glioma result primarily from DNA methylation-independent mechanisms.
Court F, Le Boiteux E, Fogli A, Müller-Barthélémy M, Vaurs-Barrière C, Chautard E, Pereira B, Biau J, Kemeny JL, Khalil T, Karayan-Tapon L, Verrelle P, Arnaud P.
Genome Res. 2019 Sep 18. doi: 10.1101/gr.249219.119. [Epub ahead of print]