Cris ou chuchotements: le dilemne des cellules embryonnaires
Un travail paru dans la revue Science présente la reconstruction systématique au cours du temps de la géométrie et de l’arrangement des cellules des embryons d’un petit invertébré marin. Ces données démontrent que le processus de développement est très fortement reproductible à l'échelle de la cellule entre embryons. Les auteurs relient cette reproductibilité à l'échelle cellulaire à un mode de communication inhabituel, par contact direct entre cellules. Ce travail lie donc la portée des signaux cellulaires et l’échelle, cellulaire ou tissulaire, à laquelle la reproductibilité du développement est observée.
Au cours du développement embryonnaire, les cellules, en se divisant, adoptent des rôles de plus en plus précis dans l’organisme. Dans la plupart des embryons, dont les nôtres, ce processus est reproductible à l’échelle des tissus, mais les comportements des cellules individuelles varient d’un embryon à l’autre. Dans certains embryons cependant, dont ceux d’un petit invertébré marin, l’ascidie Phallusia mammillata, la reproductibilité du développement embryonnaire se fait à l’échelle celullaire : il est possible de nommer chaque cellule et de lui trouver une homologue dans chacun des embryons de l’espèce. Une étude récente a cherché à comprendre la manière dont les embryons contrôlent l’échelle, cellulaire ou tissulaire, à laquelle leur développement est reproductible.
La communication cellulaire est au cœur du processus de développement. Dans les embryons de vertébrés, les cellules ont un comportement très dynamique. Elles peuvent migrer sur de longues distances et changent fréquemment de voisines, des processus qui contribuent à la variabilité des comportements cellulaires entre embryons. Pour communiquer entre elles, elles utilisent principalement des signaux à longue portée, des morphogènes, que l’on pourrait caractériser de “cris”. Mais que se passe-t-il dans les embryons de Phallusia, quelle est la dynamique des comportements de leurs cellules ? Et comment communiquent-elles entre elles ? La transparence optique de ces embryons a permis de quantifier leur morphogenèse et de décrire un autre mode de communication, plus discret.
Pour cela, les scientifiques ont commencé par enregistrer toutes les deux minutes le développement d’embryons vivants avec un microscope très performant à « feuille de lumière ». Pour exploiter ce jeu de données de très grande taille, ils ont créé un logiciel qui détecte automatiquement chaque cellule, reconstruit sa géométrie et mesure sa position et les contacts qu’elle établit avec ses voisines, et ce jusqu’à un stade avancé du développement. Ce travail a confirmé la reproductibilité du développement à l’échelle cellulaire et montré que cette reproductibilité était même observée à l’échelle, subcellulaire, des surfaces de contact établies entre cellules voisines. De plus, les cellules bougent très peu les unes par rapport aux autres.
Pour mieux comprendre l’origine de cette reproductibilité, les auteurs ont enrichi leur description géométrique du développement de l’ascidie avec l’information du type cellulaire et des signaux moléculaires émis par chaque cellule. En intégrant par modélisation mathématique la géométrie embryonnaire avec ces deux nouvelles informations, ils ont montré que les signaux échangés par les cellules ont une très courte portée. A la différence des vertébrés, les cellules des embryons d’ascidies ont donc un comportement statique et figé et la portée de leurs signaux “chuchotés” est très faible.
Cette étude suggère qu’il est possible de construire un embryon sans morphogènes et qu’une forte corrélation existe entre la dynamique des mouvements cellulaires et la portée utile des signaux que les cellules échangent entre elles. En étendant le répertoire des mécanismes de communication cellulaire et en les reliant aux comportements cellulaires, ce travail ouvre de nouvelles perspectives sur la compréhension des stratégies d’auto-organisation des formes vivantes.
Sea squirt development
Des embryons d'ascidie (P. Mammillata) en cours de développement ont été imagés avec un microscope à feuille de lumière et traités informatiquement pour identifier et reconstruire chaque cellule. Les couleurs des reconstructions indiquent les tissus que chaque cellule formera (exemple : les cellules fuchsia formeront les muscles de la queue, les cellules vert foncé et cyan formeront le cerveau).
© Léo Guignard
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Sea squirt combined
Développement d'embryons d'ascidie (P. Mammillata) imagés avec un microscope à feuille de lumière et traités informatiquement pour identifier et reconstruire chaque cellule. Les couleurs des reconstructions indiquent les tissus que chaque cellule formera (exemple : les cellules fuchsia formeront les muscles de la queue, les cellules vert foncé et cyan formeront le cerveau). Le film montre la combinaison entre les images microscopiques et la reconstruction informatique.
© Léo Guignard
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Sea squirt development transition
Des embryons d'ascidie (P. Mammillata) en cours de développement sont imagés avec un microscope à feuille de lumière et traités informatiquement pour identifier et reconstruire chaque cellule. Les couleurs des cellules reconstruites indiquent les tissus que chaque cellule formera (exemple : les cellules fuchsia formeront les muscles de la queue, les cellules vert foncé et cyan formeront le cerveau). Le film montre la transition entre les images microscopiques et la reconstruction informatique.
© Léo Guignard
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Pour en savoir plus:
Contact-area dependent cell communication and the morphological invariance of ascidian embryogenesis
Guignard L, Fiuza UM, Leggio Laussu Faure E, Michelin G, Biasuz K, Hufnagel L, Malandain G, Godin C, Lemaire P
Science, July 10 2020 , https://science.sciencemag.org/content/369/6500/eaar5663
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