Coopérer ou rivaliser : comment décide notre cerveau ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Amis ou ennemis ? Lors d’interactions sociales, la capacité d’inférer les intentions des autres est essentielle pour prédire les actions d’autrui et anticiper si l'on doit coopérer ou rivaliser. Une nouvelle étude met en évidence les processus cérébraux et les mécanismes computationnels impliqués dans cette fonction appelée théorie de l'esprit (ToM). Les résultats, publiés dans Nature Communications, montrent que le cerveau utilise des algorithmes spécifiques pour faire ces inférences en arbitrant dynamiquement entre intentions de coopération et de compétition.

Lors d’interactions sociales, les intentions des autres agents (humains ou artificiels) peuvent fluctuer au cours du temps entre la compétition et la coopération. Cette incertitude inhérente au comportement possible d’autrui rend extrêmement difficile de prédire le comportement social lors d’une interaction. En effet, contrairement à la plupart des objets inanimés, les comportements observables des autres agents ne fournissent que des informations très partielles sur leurs comportements futurs probables. Quels mécanismes computationnels permettent au cerveau de prédire efficacement le comportement social d’autrui sur la base de l’observation de son comportement passé ? Il est important de comprendre ces mécanismes car il est encore très difficile par exemple pour un robot social de décoder les intentions d’une personne et de réagir en conséquence pour des interactions fluides.

Cette étude a permis de déterminer la manière dont le cerveau s'adapte aux intentions fluctuantes des autres lorsque ni la nature des interactions (coopération ou compétition) ni le changement entre ces deux types d’interactions ne sont signalés de manière explicite.

Pour obtenir ces résultats, les scientifiques ont placé les participants dans un scanner, pour observer en temps réel les réactions du cerveau, alors qu’ils pensaient jouer avec un autre joueur en réseau. Le jeu consistait à inférer quelle carte parmi deux possibles l’autre joueur allait choisir. En fait, ils jouaient avec un algorithme (IA) qui alternait sans le signaler entre des stratégies de coopération et de compétition (selon le comportement passé du joueur). Dans la situation coopérative, l’une des meilleures stratégies est de choisir une même carte de manière prévisible entre essais alors que dans la situation compétitive la stratégie optimale est de choisir entre les deux cartes de façon aléatoire entre essais.

Au cœur du cerveau, un mécanisme arbitrant entre deux experts coopératifs et compétitifs
 

Les scientifiques ont utilisé une technique d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle couplée à de la modélisation mathématique pour observer l’évolution des réactions des participants en fonction du comportement de l’IA. La comparaison entre de nombreux modèles mathématiques et le comportement observé a révélé qu’un mécanisme computationnel était meilleur que les autres. Ce mécanisme consiste en un arbitrage entre deux experts : l’un compétitif et l’autre coopératif, tous deux étant pondérés par leurs fiabilités relatives. Ce modèle surpasse d'autres modèles d'apprentissage dans la prédiction du comportement de choix. Deux régions cérébrales, nommées le striatum ventral et le cortex préfrontal ventromédial suivent la différence de fiabilité entre ces experts. Ainsi, lors d’interactions où les intentions des autres sont fluctuantes et non signalées, le cerveau pondère entre un expert compétitif et un coopératif grâce au calcul de la différence de fiabilité entre une interaction compétitive et coopérative. Ces résultats permettent de comprendre les mécanismes neuro-computationnels de la façon dont le cerveau arbitre en temps réel entre les intentions de coopération et de compétition lors de la prise de décisions sociales adaptatives.

Cette étude fournit une explication mécanistique de la façon dont le cerveau arbitre dynamiquement entre les intentions de coopération et de compétition lors de décisions sociales adaptatives. Ces résultats originaux identifient les algorithmes et les mécanismes cérébraux impliqués dans l'estimation et l’adaptation aux intentions compétitives et coopératives d'autrui. Cette caractérisation est essentielle à la compréhension des mécanismes cérébraux sous-tendant nos interactions sociales pour permettre des transitions fluides entre contextes coopératifs ou compétitifs changeants. Ces mécanismes neuro-computationnels fournissent les bases nécessaires à nos interactions sociales avec d’autres agents naturels ou artificiels.

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© Dreher Jean-Claude
Figure : Expérience IRMf. a. Après une croix de fixation, quatre cartes sont présentées à l'écran. Les deux cartes affichées en haut de l'écran représentent les cartes présentées à l'adversaire/partenaire (c'est-à-dire l'agent artificiel : AA) et non vues par le participant dans le scanner, tandis que les deux rois (un noir et un rouge) sont les cartes présentées au participant (affichées en bas de l'écran). Les participants devaient choisir entre ces deux cartes. Au moment de la décision, l'écran supérieur représente l'affichage si l'AA fait son choix en premier, tandis que l'écran inférieur montre comment une carte est surlignée d'un bord jaune si le participant fait son choix en premier. Ensuite, un écran présente les choix du participant et de l'agent artificiel ensemble. Enfin, au moment du résultat, le participant gagne s'il choisit la même carte que l'agent artificiel (ici le roi rouge). b. Matrice des gains des deux types de blocs. Le gain du participant (en bas à gauche de chaque petit carré) et le gain de l'agent artificiel (en haut à droite de chaque petit carré). c. Détection des intentions coopératives ou compétitives dans le cerveau. Activité du système cérébral engagé dans le calcul de la différence de fiabilité du modèle d'influence des intentions mixtes. Le signal observé dans le striatum ventral, le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire postérieur corrèle avec la différence de fiabilité des intentions compétitives et coopératives estimées par le modèle.

Pour en savoir plus :
Philippe, R., Janet, R., Khalvati, K. et al. Neurocomputational mechanisms involved in adaptation to fluctuating intentions of others. Nat Commun 15, 3189 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-47491-2

Contact

Jean-Claude Dreher
Chercheur CNRS à l'Institut des sciences cognitives (ISC) - Marc Jeannerod - (CNRS/Université Claude Bernard)

Laboratoire

Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod - ISC-MJ (CNRS/Université Claude Bernard)
67 Boulevard Pinel
69675 BRON