Connexions cérébrales : un nouveau modèle éclaire les mécanismes de formation des synapses

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Le fonctionnement du cerveau repose sur l'établissement de connexions très précises entre les neurones : les synapses. Une étude récente, publiée dans Nature Neuroscience, révèle que la formation de différents types de synapses nécessite plusieurs étapes successives de diversification moléculaire au cours du développement cérébral des mammifères. Cette découverte remet en question un modèle théorique établit depuis plus de 60 ans et ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les troubles neurodéveloppementaux liés aux déficits synaptiques.

Les connexions entre les neurones, appelées synapses, sont les unités fonctionnelles indispensables du cerveau. Il en existe différents types, permettant de connecter entre eux une très grande variété de neurones en des circuits complexes et pourtant précis régulant l’ensemble des fonctions cérébrales. En 1963, Roger Sperry a émis une hypothèse fondamentale, dite de "chémoaffinité" : selon cette théorie, chaque type de synapses serait défini par une combinaison unique de molécules, déterminée lors de la genèse des neurones. Si plusieurs décennies de recherche ont permis d’identifier de nombreuses molécules d’adhésion impliquées dans la formation et le maintien des différents types de synapses, l'existence même de combinaisons moléculaires spécifiques à chaque type de connexions, ainsi que leur rôle instructif au cours du développement, n'avaient jusqu’à présent jamais été démontrés.

Une nouvelle vision du développement de la diversité des synapses

Dans une étude parue dans Nature Neuroscience, les scientifiques ont révélé un mécanisme inattendu du développement des synapses grâce à l’étude du cervelet, une structure cérébrale qui assure la coordination motrice et participe à de nombreux processus cognitifs. Dans cette structure, les cellules de Purkinje reçoivent deux types de synapses excitatrices : les synapses des fibres grimpantes, et celles des fibres parallèles. Si ces deux types de connexions se forment initialement sur le même territoire de la cellule de Purkinje, elles finissent par occuper des territoires distincts et par acquérir des propriétés très différentes à maturité. En combinant des approches de transcriptomique, bio-informatique et des manipulations génétiques chez la souris, les scientifiques ont d'abord démontré que des combinaisons distinctes de molécules caractérisent bien ces deux types de synapses dans le réseau mature. Cependant, contrairement à ce qui était attendu, l’étude révèle que ces combinaisons ne sont pas prédéfinies mais évoluent de manière séquentielle au cours du développement et de la maturation du réseau.

Des règles de développement spécifiques à chaque type de synapses

De façon surprenante, les résultats démontrent également que les synapses des fibres grimpantes et des fibres parallèles utilisent initialement une molécule présynaptique commune pour établir leurs connexions avec les cellules de Purkinje. Par la suite, les neurones des fibres grimpantes développent progressivement une signature moléculaire spécifique, libérant ainsi de nouvelles molécules d’adhésion à leurs synapses, tandis que les connexions des fibres parallèles conservent leur identité initiale. Cette découverte explique donc pourquoi ces deux types de fibres partagent d’abord le même territoire sur les cellules de Purkinje avant de se séparer en territoires distincts, une ségrégation qui résulte directement de la divergence de leurs codes moléculaires. Fait remarquable, ces codes sont en partie déterminés par des molécules sécrétées, plutôt que par des molécules d’adhésion « classiques ». Les scientifiques ont finalement démontré que l'activité électrique des neurones des fibres grimpantes régule la maturation moléculaire de leurs propres synapses, suggérant que des facteurs extérieurs, comme l’expérience sensori-motrice, pourraient moduler de manière spécifique certains types de connexions nerveuses pendant cette période précoce du développement.

Vers une meilleure compréhension des troubles neurodéveloppementaux

Ce nouveau modèle de développement séquentiel des connexions neuronales pourrait s'appliquer à d'autres régions du cerveau où divers neurones se connectent sur des territoires bien définis de leur cible, tout comme dans le cervelet. Cette hypothèse est renforcée par la présence des molécules identifiées aux synapses grimpantes et parallèles dans l'ensemble du cerveau, où elles pourraient jouer un même rôle dans le codage de l’identité des synapses. Cette découverte fondamentale ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre la complexité de la mise en place des circuits cérébraux et l'origine de certains symptômes présents dans les maladies du développement du cerveau comme les troubles du spectre autistique ou schizophrénique.

© Maëla Paul, CIRB

Figure : A gauche : Image de microscopie représentant des cellules de Purkinje (cyan) ainsi qu’une fibre grimpante et ses synapses (magenta). A droite : Cette illustration représente l’évolution au cours du développement postnatal chez la souris des deux types de connexions excitatrices sur les cellules de Purkinje (noir) : les synapses des fibres grimpantes (rose) et des fibres parallèles (vert). Au départ, ces deux types de synapses partagent la même identité moléculaire et le même territoire sur la cellule de Purkinje en croissance, puis leurs territoires divergent lorsqu’à maturité les synapses des fibres grimpantes acquièrent une identité propre. L’activité neuronale module en partie l’identité moléculaire et le territoire des synapses des fibres grimpantes.

En savoir plus : Paul MA*, Sigoillot SM* et al., Stepwise molecular specification of excitatory synapse diversity onto cerebellar Purkinje cells. Nature Neuroscience. Published online December 10, 2024. https://doi.org/10.1038/s41593-024-01826-w
* Contribution équivalente

Contact

Fekrije Selimi
Directrice de recherche CNRS

Laboratoire

Centre interdisciplinaire de recherches en biologie - CIRB (Collège de France/CNRS/Inserm)
11 place Marcelin Berthelot
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