Comment un virus émergent reprogramme la cellule pour faciliter sa propre reproduction
Le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo est transmis par les tiques du genre Hyalomma, présentes dans de nombreuses régions du monde dont l’Europe du Sud. Ce virus émergent provoque le décès des personnes infectées dans près de 30% des cas et il n’existe ni vaccin ni traitement pour s’en prémunir. Dans cette étude, publiée dans la revue PLoS Pathogens, les scientifiques identifient la protéine GP38 comme le chef d’orchestre de l’assemblage des particules virales, en faisant une cible de choix pour de futurs traitements.
Les tiques sont déjà les principaux arthropodes vecteurs de maladies humaines et animales dans les pays développés. L'intensification du commerce, de la mobilité et de l'agriculture dans une Europe plus chaude, plus âgée, plus peuplée, multiethnique et socialement inégale, ainsi que les changements intrinsèques des tiques et des agents pathogènes offrent une myriade de possibilités pour l'émergence et la propagation des maladies transmises par les tiques (TBD). Ainsi, malgré une aire de répartition de la tique Hyalomma marginatum déjà très étendue, celle-ci voit sa distribution géographique progresser vers le Nord. Or, cette tique est le principal vecteur et réservoir du virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHFV). Ainsi, la présence du CCHFV en dehors des zones endémiques a été récemment mise en évidence chez les tiques retrouvées sur des cerfs sauvages en Espagne ainsi que chez les humains en Grèce, au Portugal et en Espagne. Récemment, des preuves sérologiques de la circulation du CCHFV en Corse ont été rapportées, principalement chez les bovins. Le CCHFV est l’agent étiologique de l'une des 8 maladies prioritaires identifiées par le plan directeur de l'OMS pour permettre l'activation rapide des activités de R&D lors des épidémies. Le CCHFV appartient au genre Orthonairovirus, qui comprend des virus à ARN segmenté transmis par certaines tiques. Dans l'ensemble, les espèces du genre Orthonairovirus émergent rapidement et comprennent d'importants agents pathogènes pour l'homme et le bétail, ainsi qu'une collection d'autres virus toujours méconnus, notamment en ce qui concerne leur potentiel pathogène pour l'homme. Le CCHFV est actuellement l'orthonairovirus le plus important en termes de maladie humaine (classé comme agent de niveau de biosécurité 4), causant des formes graves de fièvre hémorragique, mortelle dans jusqu'à 30 % des cas, avec un nombre croissant de cas sporadiques et d'épidémies au fil des ans.
Dans cette étude, menée dans le cadre d'une collaboration internationale avec l’Université de Gieben en Allemagne et du CDC à Atlanta (USA), des mécanismes inédits utilisés par le virus pour former de nouvelles particules virales suite à l’infection d’une cellule cible sont décrits. De manière générale, l’assemblage des virus fait intervenir à la fois des protéines virales et cellulaires dans un processus hautement régulé. Après la synthèse des protéines formant la structure du virus, des protéines virales interagissent entre elles et avec des protéines cellulaires afin de permettre la formation de nouvelles particules virales infectieuses. Cela implique une coordination des protéines sur le plan spatio-temporel afin que les protéines structurales soient dirigées au bon moment dans le compartiment cellulaire dans lequel a lieu l’assemblage.
Les mécanismes d’assemblage du virus de la fièvre hémorragique étaient jusqu’à présent peu connus, à la fois en raison de la nature hautement pathogène du virus, mais aussi de la complexité du segment codant les protéines structurales. En effet, le segment M du CCHFV est considéré comme le plus complexe des nairovirus, car il code au moins six protéines, dont les deux glycoprotéines d’enveloppe Gn et Gc. Dans cette étude, le rôle des protéines non-structurales NSm et MLD-GP38 dans la formation de nouvelles particules virales infectieuses a pu être mis en évidence. Si elle n’apparaît pas essentielle pour la formation de nouvelle particules virales infectieuses dans ces études du CCFHV in vitro, la protéine NSm induit le remodelage de l’appareil de sécrétion cellulaire au profit de la production de particules virales infectieuses. Par ailleurs, la protéine GP38 joue un véritable rôle de chorégraphe de l’assemblage en permettant à la fois la maturation de la protéine Gc ainsi que sa localisation et sa concentration dans le site d’assemblage du virus. Par ailleurs, GP38 possède l’étonnante propriété d’être sécrétée dans le milieu extérieur, ce qui suggère une activité extracellulaire de cette protéine aux multiples facettes Cette étude met ainsi en lumière les relations particulièrement complexes entre les différentes protéines du segment M au cours de la morphogenèse des Nairovirus. Elle permet également d’identifier avec ces protéines structurales des cibles de choix pour de futurs traitements dirigés contre le CCHFV.
Au final, cette étude s’intègre dans un concept global appelé "One Health", reconnu comme majeur dans le domaine de la prévention et de la gestion des maladies infectieuses, en permettant de mieux anticiper et contenir les nouvelles épidémies.
Pour en savoir plus :
The interplays between Crimean-Congo hemorrhagic fever virus (CCHFV) M segment-encoded accessory proteins and structural proteins promote virus assembly and infectivity.
Freitas N, Enguehard M, Denolly S, Levy C, Neveu G, Lerolle S, Devignot S, Weber F, Bergeron E, Legros V, Cosset FL.
PLoS Pathog. 2020 Sep 21;16(9):e1008850. doi: 10.1371/journal.ppat.1008850. eCollection 2020 Sep.
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