Comment l'ovocyte sait compter jusqu'à deux pour être fécondé au bon moment

Résultats scientifiques Développement, évolution

La fécondation chez les vertébrés nécessite que l'ovocyte effectue la méiose, qui consiste en deux divisions consécutives de son matériel génétique, mais sans finaliser la deuxième division. En effet, avant de séparer le matériel génétique lors de la deuxième division, il faut attendre l'entrée du spermatozoïde. Si jamais la méiose était déjà arrêtée lors de la première division, la fécondation pourrait avoir lieu alors que l'ovocyte contiendrait encore le double des chromosomes, conduisant à un embryon triploïde non viable. Les scientifiques ont démontré qu'une cycline méconnue, la cycline B3, permet à l'ovocyte de "compter" les divisions méiotiques pour une fécondation au bon moment. Ce travail vient d'être publié dans la revue Developmental Cell.

La méiose vise à créer des gamètes haploïdes contenant seulement la moitié du matériel génétique de l'organisme parental. En méiose, deux divisions successives doivent être réalisées. Dans les ovocytes, ce processus doit être synchronisé avec l'arrivée des spermatozoïdes. Pour éviter la parthénogenèse, c’est-à-dire le développement d'un embryon sans fécondation, la progression du cycle cellulaire méiotique est interrompue à un moment donné et sa reprise dépend de la fécondation. Dans l'ovocyte des vertébrés, cet arrêt se situe au cours de la deuxième division.

Les cyclines, en association avec les kinases Cdk, contrôlent la progression dans le cycle cellulaire. Au cours de la mitose qui est la division des cellules somatiques, l'activité des complexes cycline-Cdk est maximale juste avant la séparation des chromosomes. La chute brutale de l'activité de la Cycline B-Cdk1 permet la séparation des chromosomes et la sortie de la mitose, pour démarrer un nouveau cycle cellulaire. Dans la méiose, il n'y a pas de sortie du cycle cellulaire après la première division, car la deuxième division a lieu immédiatement. L'enchaînement des deux divisions est nécessaire pour ne pas re-synthétiser l'ADN entre les deux divisions, ce qui ne serait pas compatible avec la finalité de la méiose, laquelle est la création des gamètes haploïdes. Alors, comment l'ovocyte peut-il "savoir", dans laquelle des deux divisions il doit s'arrêter pour attendre l'arrivée du spermatozoïde ?

Les scientifiques avaient précédemment découvert chez la souris que la cycline B3 joue un rôle essentiel spécifiquement dans les ovocytes pour la progression en première division méiotique. Sur la base de ces travaux, ils ont émis l'hypothèse que sans cycline B3, les ovocytes s'arrêtent en première division au lieu de la seconde pour attendre l'arrivée des spermatozoïdes. En effet, en utilisant deux systèmes modèles, les ovocytes de xénope et de souris, les scientifiques ont mis en évidence que lors de la première division, la cycline B3-Cdk1 phosphoryle une protéine appelée Emi2, essentielle à l’établissement de cet arrêt pour attendre la fécondation. La phosphorylation d'Emi2 entraîne sa dégradation, de sorte que les ovocytes peuvent progresser vers la deuxième division, où la cycline B3 est absente. C'est pour cette raison qu'Emi2 ne peut établir un arrêt de fécondation qu'en deuxième, et non en première division. Ainsi, dans le cas où la cycline B3 est artificiellement exprimée lors de la deuxième division, l'ovocyte ne peut plus s'arrêter et attendre d'être fécondé.

En conclusion, la cycline B3 est nécessaire pour que l'ovocyte s'arrête au bon moment pour attendre l'arrivée du spermatozoïde. Chez la souris mais aussi chez la femme, l'absence de la cycline B3 a été corrélée à des grossesses triploïdes. Ces résultats sont donc pertinents pour mieux comprendre pourquoi la cycline B3 est nécessaire pour que la fécondation aboutisse à un embryon viable.

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© Katja Wassmann

Figure : Exemple d’ovocytes de souris attendant la fécondation. En présence de la cycline B3 (souris contrôle), l'ovocyte à gauche s'arrête en deuxième division méiotique, après la première division avec l'expulsion d'un petit globule polaire (indiqué avec un astérisque), contenant la moitié du génome. A droite, un ovocyte sans cycline B3 (issu d'une souris génétiquement modifiée), qui s'arrête en première division et contient encore tout son génome de départ. La fécondation à ce stade va conduire à la formation d'un embryon triploïde. (Images obtenues à partir d'un film de vidéo-microscopie.)

Pour en savoir plus : 
Cyclin B3 implements timely vertebrate oocyte arrest for fertilization
Nora Bouftas  Lena Schneider Marc Halder Rebecca Demmig  Martina Baack Damien Cladière Melanie Walter Hiba Al Abdallah   Camilla Kleinhempel   Ria Messaritaki Janina Müller Francesca Passarelli Patrick Wehrle Andreas Heim Katja Wassmann Thomas U Mayer 
Developmental Cell. 10 octobre 2022  https://doi.org/10.1016/j.devcel.2022.09.005

Contact

Katja Wassmann
Directrice de recherche CNRS à l'Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris Cité)

Laboratoire

Institut de biologie Paris-Seine - IBPS (CNRS/Sorbonne Université)
7-9 Quai Saint-Bernard
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