Comment la mouche forme son cou
Au cours du développement, les tissus adoptent des formes correspondant à leur fonction au cours de la vie. Ce processus de morphogenèse repose sur des couplages entre génétique et mécanique. Dans Nature Communications, des scientifiques en biologie et physique viennent d’ajouter une pièce importante à notre compréhension de ce processus en étudiant la formation du cou chez la mouche. Leurs travaux mettent en lumière un mécanisme simple et robuste associant la courbure du tissu et sa tension, le tout piloté par la génétique.
Dans ses "Histoires comme ça", l'écrivain Kipling se plaisait à imaginer comment le léopard a obtenu ses tâches et le chameau sa bosse. Qu'aurait-il écrit pour expliquer comment la larve de mouche, cet asticot lourdaud et cylindrique, se métamorphose en une élégante mouche avec un cou et une "taille de guêpe" minces comme un fil ?
Simple, mais général voici le maître mot de l’explication apportée par des scientifiques grâce à une approche interdisciplinaire : la courbure. Pensons à un câble sous tension. S'il est droit, sa tension ne crée aucune force sur le côté ; s'il est courbé, la tension a pour effet d'engendrer une force vers l'intérieur de la courbure. Même une larve de Drosophile, proche d’une forme cylindrique, a une courbure. Lorsque l'animal est dans son "cocon", au stade intermédiaire entre la larve et l’adulte, un câble fait de moteurs moléculaires se forme au futur emplacement de son cou, et sa courbure couplée à la tension de son câble fait se contracter le tissu de manière à former un cou étroit.
Pour creuser ce mécanisme physique théorique simple, les scientifiques ont tout d’abord cherché à mieux comprendre comment la tension est contrôlée dans le cou durant sa formation. Ils ont ainsi mis en évidence un rôle clé des fameux gènes dits "homéotiques", qui sont communs aux mouches, aux humains et à tant d'autres animaux. En particulier ils ont pu montrer que le gène homéotique Dfd est spécifiquement présent dans les futures cellules du cou et y contrôlent l’accumulation d’un moteur moléculaire, la myosine. À l’aide d’ablation laser, les auteurs ont en outre établi que le gène Dfd augmente par conséquent la tension dans les cellules du cou et sa vitesse d’invagination. En utilisant une approche originale, à l’aide d’une lame de microscope en contact avec l’animal, les scientifiques ont pu changer mécaniquement la courbure initiale de l’animal. Ainsi par une combinaison de manipulation mécanique et génétique, tant la courbure que la tension ont pu être modifiées. Dans tous les cas, il a été observé que le produit des deux détermine la vitesse de formation du cou. Ces expériences confirment l’hypothèse d’un mécanisme physique simple et nouveau contrôlant la formation des structures tridimensionnelles des tissus lors du développement. Elles établissent en outre un lien entre gènes homéotiques et courbure des tissus.
Qu'est-ce que Kipling pourrait demander de mieux ? Une suite au prochain épisode ?
Comment la mouche forme son cou | Rush de Recherche
© Aurélien Villedieu, Yohanns Bellaïche, Institut Curie, http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/.
Audiodescription
Pour en savoir plus :
Homeotic compartment curvature and tension control spatiotemporal folding dynamics.
A. Villedieu, L. Alpar, I. Gaugué, A. Joudat, F. Graner, F. Bosveld, Y. Bellaïche
Nature Communication, 3 février 2023. DOI:https://doi.org/10.1038/s41467-023-36305-6
Contact
Laboratoires
Génétique et biologie du développement (Institut Curie/Université Paris sciences et lettres/CNRS/Inserm/Sorbonne Université)
Bâtiment BDD, Institut Curie
26 rue d'Ulm
75248 Paris cedex 05
Matière et systèmes complexes (CNRS/Université Paris Cité)
Bâtiment Condorcet, case CC 7056,
10 rue Alice Domon et Léonie Duquet
75205 Paris cedex 13