Comment la kétamine contre l'action d'autoanticorps pathogènes ?

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

L’encéphalite anti-NMDA est une maladie auto-immune rare causée par la production anormale d’autoanticorps dirigés contre les récepteurs NMDA. En déstabilisant ces récepteurs, ils provoquent des symptômes neurologiques et psychiatriques sévères. Dans un article publié dans la revue Neuron, des scientifiques rapportent que, chez le rat, la kétamine, un anesthésique ciblant les récepteurs NMDA, favorise leur ancrage aux synapses et prévient l’action déstabilisatrice pathogène des autoanticorps.

L’encéphalite anti-NMDA, une maladie auto-immune grave


La compréhension des mécanismes à l’œuvre dans les maladies neurologiques et psychiatriques reste parcellaire, et nos moyens pour les traiter sont malheureusement souvent limités. L’encéphalite anti-NMDA est une maladie rare qui touche principalement les femmes jeunes et les adolescentes avec une prévalence estimée à au moins 0,6 cas par millions d’habitants. C’est une maladie auto-immune grave causée par la production anormale d’autoanticorps dirigés contre les récepteurs NMDA du glutamate, des acteurs essentiels du fonctionnement des synapses permettant les communications entre neurones et le traitement de l’information cérébrale.

Le développement récent des techniques de microscopie de super-résolution nous a permis de mieux comprendre l’action pathogène de ces autoanticorps. Au niveau moléculaire, ils agissent principalement en bloquant les redistributions rapides des récepteurs par diffusion dans la membrane plasmique, et en déstabilisant leur organisation en domaines de signalisation nanométrique, deux propriétés fondamentales qui permettent aux synapses de s’adapter rapidement pour traiter et stocker l’information. Ces processus pathologiques provoquent de graves dysfonctionnement des synapses qui entraînent l’apparition chez les patients de manifestations psychotiques évoluant rapidement vers des crises épileptiques, des troubles du mouvement et de l’élocution, et un dérèglement du système nerveux autonome et respiratoire pouvant entraîner la mort. Si l’administration de traitements immunosuppresseurs permet dans la plupart des cas de stopper l’évolution de la maladie, la récupération est néanmoins très lente et parfois incomplète, et les moyens d’action rapide demeurent inexistants. Comment maintenir dans les synapses les récepteurs déstabilisés pour contrer l’action des autoanticorps ?

La kétamine pour prévenir l’action des autoanticorps


Dans cet article, les scientifiques montrent à l’aide de techniques de microscopie à haute résolution que la kétamine, un anesthésique qui cible les récepteurs NMDA, favorise la stabilisation de ces récepteurs à l’intérieur des synapses en facilitant leur interaction avec des protéines d’échafaudage cytoplasmiques. Plus inattendu encore, ils rapportent que cette propriété peut être utilisée pour contrecarrer l’action d’autoanticorps de patients atteints d’encéphalite auto-immune anti-NMDA: non seulement la kétamine prévient la déstabilisation synaptique des récepteurs causée par les autoanticorps, mais elle permet de restaurer une partie essentielle de leur signalisation. Les scientifiques ont ensuite testé la capacité de la kétamine à compenser les déficits comportementaux de rongeurs exposés aux autoanticorps de patients. Leurs observations indiquent que celle-ci soulage efficacement les manifestations anxieuses et les déficits sensorimoteurs provoqués par l’administration d’autoanticorps. Ces résultats révèlent une dimension inattendue de l’action de la kétamine et des molécules apparentées. Ils soulignent également l’intérêt thérapeutique potentiel de venir cibler l’ancrage des récepteurs dans les synaptopathies associées aux récepteurs NMDA.

© Frédéric Villéga / Julien Dupuis / Laurent Groc

Figure :
(A) En situation normale, les récepteurs NMDA entrent et sortent par diffusion des synapses où ils interagissent avec des protéines permettant leur stabilisation (PSD-95) et leur signalisation (CaMKII). En incrustation : trajectoire d’un récepteur stabilisé dans une synapse. Bas, des rongeurs sains aux synapses fonctionnelles montrent une préférence naturelle pour l’eau sucrée et sursautent quand un son strident est émis. (B) Dans l’encéphalite anti-NMDA, la production anormale d’autoanticorps ciblant les récepteurs NMDA empêche leur stabilisation aux synapses et bloque leur signalisation. En incrustation : trajectoire d’un récepteur déstabilisé d’une synapse après exposition à des anticorps de patients. Bas, des rongeurs exposés aux autoanticorps de patients ne montrent plus de préférence pour l’eau sucrée et ne sursautent plus quand un son strident est émis. (C) L’administration de kétamine permet de contrer la déstabilisation synaptique des récepteurs causés par les autoanticorps et de rétablir la signalisation. En incrustation : trajectoire d’un récepteur stabilisé dans une synapse après administration de kétamine. Bas, l’administration de kétamine à des rongeurs exposés aux autoanticorps de patients rétablit leur préférence pour l’eau sucrée et leur capacité à sursauter en réponse à l’émission d’un son strident.


Pour en savoir plus :
Ketamine alleviates NMDA receptor hypofunction through synaptic trapping
Villéga F, Fernandes A, Jézéquel J, Uyttersprot F, Benac N, Zenagui S, Bastardo L, Gréa H, Bouchet D, Villetelle L, Nicole O, Rogemond V, Honnorat J, Dupuis JP, Groc L. Ketamine alleviates NMDA receptor hypofunction through synaptic trapping.
Neuron, 9 octobre 2024. DOI : https://doi.org/10.1016/j.neuron.2024.06.028

Contact

Laurent Groc
Directeur de recherche CNRS

Laboratoire

Institut Interdisciplinaire des Neurosciences - IINS (CNRS / Université de Bordeaux)
Centre Broca Nouvelle-Aquitaine       
146 rue Léo Saignat, CS 61292 Case 130
33076 Bordeaux Cedex